Ils sont une cinquantaine d'hommes et de femmes, la plupart en treillis, sur les travées de l'amphi de l'Ecole du service de santé des armées, à Lyon. Dans moins d'un mois, ces médecins, infirmiers, pharmaciens, dentistes, aide-soignants ou psychiatres seront tous à Kaboul, en service pour trois mois à l'hôpital militaire de campagne. En attendant, ils se préparent : trois jours à La Valbonne dans l'Ain, en particulier, pour rafraîchir leur savoir-faire en maniement des armes, et un jour dans cet amphi : « Ce sont tous d'excellents professionnels, on ne va pas leur apprendre à opérer, commente le médecin en chef Jacques Pull, qui pilote la formation. Il s'agit de leur expliquer dans quel environnement ils vont opérer ». Au pupitre, Patrick Berlizot, chirurgien neurologue au Val-de-Grâce, à Paris, et surtout ancien chef de l'hôpital de Kaboul, de janvier à mi-avril. Plus d'une heure durant, il commente des photos de l'hôpital, explique la chaîne de commandement de l'Otan, évoque la qualité du rata, donne le prix des tapis afghans en vente sur la base. Face à lui, Thierry Briche, qui va prendre son poste, et le ComSanté Bertrand Powell, qui aura la charge de l'ensemble du dispositif français de santé. Les questions fusent, précises, souvent très techniques. Les stylos sortent brusquement pour noter l'adresse postale de la base, à laisser aux familles et amis. Patrick Berlizot diffuse aussi une scène filmée sur un téléphone portable : l'opération d'un homme blessé aux deux jambes, qui perd son sang en abondance... Tous regardent sans ciller ces images dures, à la limite du soutenable pour qui n'est pas du métier. Ils observent, guidés par les commentaires de Patrick Berlizot, comment des intervenants de différentes nationalités mêlent dans l'urgence leurs savoir-faire, échangent des consignes dans une sorte d'anglais international coupé de français. Ce grand mélange, avec son vocabulaire très codé, c'est la loi de l'Otan. Elle règne sur toutes les forces engagées en Afghanistan. Juste avant, le colonel Jacques Pull avait projeté sur l'écran une photo du général américain David Petraeus : « C'est lui votre chef ! » Et d'expliquer que c'est un type formidable, qui parle notre langue, et porte sur sa tunique un insigne de parachutiste français... L'armée française est nouvelle venue dans l'organisation intégrée. S'être vu confier la direction de l'hôpital de Kaboul est un honneur, et un défi : l'occasion de démontrer sa maîtrise dans la médecine de guerre. Au colonel Pull est donc revenue plutôt la tâche d'expliquer l'islam, l'Afghanistan - bref, l'environnement géopolitique de la mission. Après trois années en Mauritanie, il parle « chouïa » l'arabe, et le démontre dans sa prononciation des multiples mots arabes qui jalonnent son exposé. Il brosse l'histoire de l'islam, insiste sur ses points communs avec les autres religions monothéistes, en appelle à « la culture humaniste du service de santé ». Il détaille les règles de comportement à respecter : un homme ne serre pas la main à une femme, on ne montre pas ses photos de famille (« c'est jugé trop intime »), on évite de se dire athée, on s'habille long et ample... Mais attention : « Mesdames, quand vous êtes dans l'hôpital, vous êtes dans une institution française, et quand l'extérieur vient chez nous, il s'adapte à la coutume française ». Pas question de se voiler, bien sûr, et si un Afghan refuse d'être opéré par une femme, il n'a qu'à partir. Car dans la tradition de l'armée française, le service de santé soigne aussi les Afghans, civils et combattants. Mais hors ces consultations, les contacts sont très rares. Patrick Berlizot, en presque quatre mois, n'est sorti que six fois de l'enceinte de l'aéroport où se trouve l'hôpital, chaque fois pour rencontrer d'autres Occidentaux. « C'est le point dramatique, reconnaît Jacques Pull, la coupure de plus en plus marquée avec la population ». Il dira plus tard, évoquant la doctrine très « française » du général Petraeus : « Il veut gagner la bataille des cœurs et des esprits... Pour moi, ça me paraît un peu tard ».
Tous ont mené bien d'autres missions, en Afrique, au Kosovo, en Bosnie. Mais tous ceux qui en reviennent disent qu'en Afghanistan, c'est plus dur. Question de climat, d'environnement hostile, tout simplement d'intensité du conflit, et puis surtout, peut-être, d'absence de perspective. Ils ne le diront pas comme ça, naturellement. Mais le médecin en chef Berlizot reconnaît : « J'étais parti plutôt très optimiste. En rentrant, je le suis un peu moins ». En cause, la transmission programmée du pouvoir de l'Otan à une autorité civile afghane : c'est la seule issue possible de cette guerre, mais elle s'effectue trop lentement, sans réelle clarté. Devant ses camarades, Patrick Berlizot conclut son propos sur une note douce-amère. Il vante à ceux qui vont partir le caractère exceptionnel de cette opération, dans le droit fil de leur mission qui est de servir. Et il ajoute : « C'est passionnant... Et usant de voir ce que l'homme peut faire contre l'homme ».
http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/3433207/Soldats-de-retour-d-Afghanistan-C-est-pas-le-Vietnam-mais.html
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