jeudi 3 novembre 2016

Une année à l'Ecole de l'air de Salon-de-Provence

Son père était pilote de chasse. Lui n'a pas suivi ses traces mais la question restait brûlante : comment devient-on un homme prêt à donner la mort ? Vincent Desombre signe un documentaire sur la fabrique des officiers. Ce lundi 7 novembre après Soir 3. Voir des extraits en avant-première.
Vincent Desombre raconte comment un jour, pendant la Guerre d’Algérie, son père a reçu l’ordre de bombarder un camp de rebelles. Après tout, c’était son métier, non ? Il se souvient qu'après cette mission, il ne fut plus tout à fait le même…
Comment devient un homme prêt à obéir, même quand on doute ? Pourquoi devient-on pilote de chasse ? 

Son père n’a pas eu le temps de le lui raconter. Un cancer l’a emporté lorsqu'il était enfant. Cinquante après, dans une France rongée par l’inquiétude des attentats, Vincent Desombre part sur ses traces, à l’Ecole de l’Air de Salon-de-Provence.

Clément, Alexis, Clémentine et Gaëlle, des « 1ère année » sont les personnages principaux de son film. Eux aussi caressent le rêve de devenir pilote de chasse. Pendant 4 mois, la caméra les a suivis, de leurs premiers pas sur la base jusqu’au défilé du 14 juillet. Bizutage, stage commando, saut en parachute, premier vol, cours intensifs, rituels militaires…

Interview de Vincent Desombre



Pernette Zumthor : Votre film La Fabrique des officiers se concentre sur la formation des poussins de l'Ecole de l'air. On y apprend comment de jeunes gens brillants au parcours déjà pavé de diplômes, se prêtent à un rituel parfois très dur.
En tant que réalisateur avec votre équipe de tournage, comment avez-vous vécu ce moment, une fois acquises les autorisations ? On sent que vous êtes vous-même en immersion avec les poussins.


Vincent Desombre : Oui, ce premier jour de tournage a été une surprise. L’Ecole de l’Air avait accepté le principe du film : Que ma caméra filme pendant une année les poussins, du premier jour, celui de de leur arrivée sur la base, jusqu’au défilé du 14 juillet. L’idée était d’être en immersion, au plus près du quotidien des élèves. Je pensais que cette première journée serait surtout administrative, consacrée à la perception des équipements, à l’explication du fonctionnement de l’école… Je ne m’attendais pas à cet accueil pour le moins viril des élèves. Effectivement, les rituels d’intégration sont durs. Après, il faut regarder aussi ces images avec du recul. Il y a un côté très théâtral, presque caricatural. J’ai presque eu le sentiment de me retrouver dans « Full metal Jacket » de Stanley Kubrick. C’est aussi ce que viennent chercher les élèves qui, rappelons le, sont volontaires pour intégrer l’Ecole de l’Air, l’une des grandes écoles militaires. Le véritable objectif n’est pas d’humilier mais de faire perdre leurs repères aux élèves et de les intégrer dans la grande famille de l’armée.

PZ : Comment libérer, la parole de jeunes gens pris dans une ambiance volontairement brutale qui marque les premieres semaines de formation ?

VD : Même s’ils sont très impressionnés par le « folklore » qui entoure leur arrivée, les poussins sont de bons élèves. Ils veulent réussir. Ces premières semaines, aussi brutales soient-elles, sont vécues comme une épreuve qu’il faut absolument réussir. Il y beaucoup de fatigue, de pression. Mettez-vous dans leur tête. Quand on perd ses repères, quand on est épuisé moralement et physiquement, on se raccroche au groupe, au collectif. C’est le véritable objectif de ces premières semaines. La construction, jour après jour de ce que l’on appelle l’esprit de corps, la fraternité, le collectif… Encore une fois, ces jeunes ne subissent pas. Oui, l’ambiance peut paraître brutale mais la finalité de cette école est de former  des militaires. Des hommes qui seront confrontés à un environnement brutal, celui de la guerre.

PZ : A quoi servent ces exercices très durs auxquels se soumettent les jeunes recrues comme les marches nocturnes, la tyrolienne ?

VD : Le premier objectif est bien sûr l’aguerrissement et la formation aux techniques militaires : Manœuvres, déplacement en combat, apprentissage des armes…  Par définition, Les militaires sont amenés à faire la guerre, à intervenir sur des terrains dévastés, des milieux extrêmement violents. Ces exercices servent de vaccin initial pour les préparer à leurs futures missions. Mais il y a, là aussi, un autre sens. Ces exercices sont vécus comme un rite initiatique, un rite de passage qui permet aux jeunes de devenir des adultes et d’être reconnus par la communauté des militaires, de pouvoir dire : oui, comme vous, je l’ai fait.

PZ : Est-ce que le souvenir de votre père revit au travers de ce que vous découvrez aujourd'hui et quelle était sa part secrète, à laquelle la famille n'était peut-être pas invitée ?

VD : Mon père était pilote de chasse et, forcément, réaliser un film sur l’Ecole de l’Air fait écho à ma propre histoire. C’est d’ailleurs le fil narratif du film. Mon père est décédé lorsque j’avais 13 ans et aujourd’hui, il y a beaucoup de questions que j’aurais souhaité lui poser. La chose militaire est pour moi un mystère, un truc incompréhensible. Pourquoi accepte-t-on la discipline, la hiérarchie, d’obéir à un ordre même si l’on est pas d’accord ? Pourquoi et comment accepte-t-on de mourir, de tuer pour son pays ? Pourquoi certains ont l’esprit patriotique et d’autres pas ? Quel est le processus pour fabriquer un militaire ? Ce sont toutes ces questions auxquelles j’ai essayé de répondre au travers de ce film.
Ce film raconte le parcours initiatique que vivent les jeunes recrues et s’interroge sur les valeurs militaires du dépassement de soi, du sens de l’engagement et de l’idéal patriotique dans la société d’aujourd’hui.

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