dimanche 11 novembre 2012

11 novembre : les héros et les oubliés

En France, pas une commune qui n'ait son monument aux Morts. Jusque dans le plus petit des villages, on trouve encore aujourd'hui, gravée dans la pierre ou dans le marbre, la liste de ceux qui sont morts lors de la "Grande Guerre", assortie de cette inscription : "la commune à ses enfants morts pour la France". Sur les 8 millions de Français engagés lors du conflit, 1,3 million furent tués et 4,2 millions blessés, parfois rendus invalides (ces fameuses "gueules cassées" héritées des champs de bataille) : une saignée qui laissa des traces durables dans la population et dans la société françaises. Voilà pourquoi, en ce 11 novembre 2012, 94 ans après la fin de la Première Guerre mondiale, la France s'apprête encore à commémorer l'armistice marquant le terme officiel d'un massacre qui avait endeuillé toute l'Europe et fait au total plus de dix millions de morts.
A Paris, François Hollande doit assister à partir de 10h30 à la cérémonie militaire à l'Arc de Triomphe. Mais à travers tout le pays, ce sont environ 800 commémorations qui sont prévues. Plus de 10.000 militaires sont mobilisés pour cette journée d'hommage. Dans un contexte un peu particulier cette année : car le 11 novembre est désormais une journée d'"hommage à tous les morts pour la France", et non seulement à ceux de la Première guerre mondiale. C'est Nicolas Sarkozy, alors président, qui avait annoncé le 11 novembre 2011, depuis l'Arc de triomphe, son choix d'élargir la signification de cette journée d'hommage. Suscitant alors de vives réactions : des associations d'anciens combattants craignaient en effet de voir disparaître d'autres dates commémoratives, comme le 8 mai célébrant la victoire des Alliés en 1945, ou les journées d'hommage aux morts en Algérie ou en Indochine. Le Parlement a entériné depuis cette décision, en précisant que "cet hommage ne se substitue pas aux autres journées de commémorations nationales". Désormais, l'hommage du 11 novembre est donc rendu non seulement aux "poilus" morts dans les tranchées, mais aussi, par exemple, aux militaires français morts lors "d'opérations extérieures" - comme, récemment, en Afghanistan. Ainsi à Calvi, une plaque portant les noms de quatre légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes morts en Afghanistan sera inaugurée en présence de l'ambassadeur des Etats-Unis en France.
Des réhabilitations au coup par coup
Mais si l'hommage du 11 novembre est désormais élargi à "tous les morts pour la France", certains luttent encore, parmi les descendants de "poilus", pour que leur souvenir soit associé à celui de tous ceux qui ont vu leur nom inscrits sur un monument aux Morts. Il s'agit, notamment, des "fusillés pour l'exemple". Ils furent environ 800. Parmi ces 800 suppliciés, plus de 650 soldats ont été passés par les armes après avoir été condamnés à mort par des conseils de guerre pour désertion, mutinerie, refus d'obéissance ou crimes de droit commun. On connaît le cas des mutineries de 1917 ; mais en fait, selon une étude du général André Bach, ex-chef du Service historique de l'armée de terre (Shat) de Vincennes, 66% des exécutions eurent lieu dans les 17 premiers mois de la guerre (qui a duré 52 mois). Une soixantaine de soldats avaient ainsi été fusillés durant le seul mois d'octobre 1914.
Or la délicate question de la réhabilitation - collective ou individuelle - des fusillés fait toujours débat. La Ligue des droits de l'Homme exige la réouverture des dossiers des "fusillés pour l'exemple" en demandant "la poursuite" de leur "réhabilitation". Le président de la Fédération nationale de la libre pensée Marc Blondel, ancien secrétaire général de FO, demande une "loi de réhabilitation collective".
Sur ce chapitre douloureux, le gouvernement progresse à petits pas. En témoigne la décision, annoncée cette semaine, d'attribuer la mention "Mort pour la France" à un soldat fusillé pour désertion en octobre 1914 : le sous-lieutenant Jean-Julien-Marie Chapelant. Un drame devenu emblématique, puisque son exécution avait inspiré "Les Sentiers de la gloire", le livre d'Humphrey Cobb (1935), adapté dans le film éponyme de Stanley Kubrick en 1957. Jusqu'à présent, la réhabilitation de soldats exécutés s'est faite au coup par coup, dès les années de l'après-guerre, comme pour les sous-lieutenants Harduin et Millan en 1926. Selon le général Bach, une cinquantaine de soldats fusillés ont été au total réhabilités, dont une trentaine en 1934 par la Cour suprême de justice militaire. Dans l'un de ses jugements, cette juridiction avait écrit : "Attendu que si les nécessités impérieuses de la discipline commandent en temps de guerre le sacrifice de la vie, ce sacrifice ne peut être imposé lorsqu'il dépasse les limites des forces humaines".
 

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