jeudi 14 avril 2011

La base aérienne de Solenzara à l'heure libyenne

Accrochés sous les ailes, les missiles blancs Mica servent à faire respecter la zone d'exclusion aérienne, tandis que les bombes A 25 M couleur kaki sont destinées à frapper les cibles au sol. Dans les cockpits des deux Rafale, qui s'apprêtent, moteurs vrombissants, à s'envoler pour une nouvelle mission au-dessus de la Libye, la tension est à son comble. Depuis le 20 mars, la base aérienne 126 de Solenzara, dans le sud de la Corse, est aux avant-postes de l'intervention alliée contre le régime du colonel Kadhafi. Peut-être est-ce parce qu'elle porte aussi le nom du capitaine Albert Preziosi, cet aviateur corse des Forces aériennes françaises libres dont la rumeur assure que l'enfant qu'il aurait eu d'une idylle orientale après s'être écrasé en 1942 dans le désert libyen ne serait autre que Mouammar Kadhafi…

Plus sérieusement, cette base, créée il y a cinquante et un ans pour accueillir les escadres de l'Otan, à l'époque de la guerre froide, et qui s'avance sur le bassin méditerranéen, est investie d'une position stratégique unique pour l'armée française. Depuis le début de l'intervention, les équipages se relaient jour et nuit sur les pistes, où décollent et atterrissent chaque jour Rafale, Mirage 2000 D et Mirage F1 CR, plus spécialement dédiés à la reconnaissance. Les bombardiers de Solenzara ont effectué leurs premières frappes 48 heures seulement après le vote de la résolution du conseil de sécurité des Nations unies. «Un exploit», souligne un jeune pilote, qui rappelle à quel point les avions français ont gagné en potentiel et en précision depuis la guerre du Golfe. Six jours plus tard, la base avait atteint son rythme de croisière et reçu des renforts, qui portent aujourd'hui son personnel à 1400 personnes.

Après le sans-faute technique réalisé par ses chasseurs, la base de Solenzara doit aujourd'hui relever un nouveau défi, celui du temps, qui s'étire aussi sûrement que les allers-retours chaotiques des forces rebelles dans les villes libyennes. En visite auprès de ses troupes, le chef d'état-major de l'armée de l'air, Jean-Paul Palomeros, prévient qu'il faut s'attendre à «un engagement de longue durée» en Libye. En 1995, la campagne de Bosnie avait duré trois semaines et celle du Kosovo 78 jours en 1999. «Aucune crise récente ne s'est réglée sur le court terme. Car les fondements des crises sont profonds. On ne peut pas espérer les régler d'un coup de baguette magique», prévient le général. Si elle constitue un «atout considérable», la force aérienne seule n'est pas suffisante pour régler des crises aussi «difficiles et complexes». «Nous ne sommes que le bras armé du droit et de la conscience internationale», dit-il.

Juppé critique l'Otan


Depuis que la «phase de coercition» a été lancée, le 20 mars, les militaires de Solenzara ont déjà traversé deux secousses. La première fut l'arrivée de l'Otan, qui a pris le 24 mars le commandement des opérations, imposant un processus de décision plus lourd et plus rigide, freiné par les pays opposés au recours à la force. «Les pick-up dans lesquels circulent les forces pro-Kadhafi ne font pas partie de nos cibles», résume un officier. Sortant pour la première fois de sa réserve sur le sujet, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a critiqué l'Alliance atlantique mardi, affirmant qu'elle ne jouait «pas suffisamment» son rôle contre les forces de Kadhafi. L'Otan, a-t-il poursuivi, doit «détruire les armes lourdes qui bombardent Misrata». Le ministre français a été rejoint par son homologue britannique, William Hague, qui a appelé l'Otan, mardi, à «intensifier ses efforts».

La seconde secousse s'est produite lorsque les États-Unis ont retiré leur participation aux frappes aériennes, la semaine dernière. «Du jour au lendemain, nous avons été privés de la palette de moyens militaires unique des États-Unis et surtout de leur capacité à durer», reconnaît un officier général. Les pilotes de Solenzara se sont adaptés, mais au prix d'un «nouvel effort supplémentaire», qui fatigue les troupes. Combien de temps pourront-elles tenir à ce rythme?

«Plusieurs mois», affirme le général Palomeros. Mais, au-delà, si la guerre s'éternise, la question de rappeler les Américains, qui se sont placés en réserve de la crise libyenne, se posera fatalement, prévient un officier. Pour l'heure, les militaires français, qui continuent à effectuer un tiers des missions au-dessus de la Libye, tentent de réduire «le brouillard de la guerre», celui qui confond dans les mêmes véhicules et les mêmes uniformes les forces pro-Kadhafi et les rebelles. «Il faut absolument raccourcir la boucle», assène le général Palomeros. C'est-à-dire réduire le temps qui sépare le renseignement de la frappe militaire. Sans jamais perdre de vue l'immense danger que représentent les dégâts collatéraux. «Nous n'avons pas le droit à l'erreur», rappelle le général.
http://www.lefigaro.fr/international/2011/04/12/01003-20110412ARTFIG00724-la-base-aerienne-de-solenzara-a-l-heure-libyenne.php
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