dimanche 3 avril 2011

Face à Kadhafi sur le Charles-de-Gaulle

La nuit vient de tomber. Quelque part entre l'île de Malte et les côtes libyennes, le Charles-de-Gaulle est en mouvement. Le but est de se maintenir face au vent pour favoriser les décollages. Un premier Rafale se place en position, sur le pont. Il s'accroche, dans un cahot, aux sabots de catapultage. Le pilote met les gaz. Derrière l'appareil, une partie de la piste se relève. C'est le déflecteur de jet, destiné à éviter que le pont soit balayé par le souffle. Le « chien jaune », l'homme qui règle le ballet des appontages et des décollages, agite les bras. « Chien parce qu'il aboie pour se faire entendre, jaune à cause de la couleur de sa chasuble », explique le capitaine de frégate Marc Gander. Gavé de kérosène, alourdi par son armement, le Rafale pousse ses réacteurs à pleine puissance. Dans un hurlement assourdissant, la post-combustion se déclenche. Une gigantesque flamme bleutée jaillit des tuyères. Puis, c'est le catapultage. En 2,5 secondes, le chasseur bombardier atteint 250 kilomètres à l'heure. Il gicle hors de la minuscule piste d'envol, de moins de 80 mètres de long. Il n'est déjà plus qu'un point rouge à l'horizon.
On l'apprendra plus tard. Ce soir, le Rafale a fait mouche, lâchant une bombe à guidage laser sur un dépôt de munitions, quelque part dans la Libye de Kadhafi. Où ? C'est secret défense. En même temps que lui, d'autres appareils ont pris le ciel : deux Super Étendard et un autre Rafale, ainsi qu'un Hawkeye, cet avion espion à hélices, capable de remplir les mêmes missions de surveillance que le célèbre Awacs. Sans lui, pas de frappe possible. Le Hawkeye, ce sont les yeux et les oreilles de la force embarquée sur le porte-avions nucléaire français. Le commandant de la flottille de Hawkeye est fier de ses appareils, merveilles de technologie. Il énumère : « Avec ses 10.000 chevaux, il est surmotorisé. Il vole à 600 kilomètres à l'heure. Il détecte tout ce qui se trouve en l'air, sur mer et au sol. Par exemple, s'il se trouvait à 10.000 mètres au-dessus du Massif Central, il pourrait surveiller toute la France... »
Tout entier tourné vers le combat
Formidable machine de guerre, le porte-avions Charles-de-Gaulle est comparable à une véritable ville. En opération au large des côtes libyennes, il accueille 2.000 membres d'équipage, répartis sur quinze niveaux ! Chacun sa place, chacun son rôle. Les aristocrates, bien sûr, ce sont les pilotes qui, chaque jour, vont larguer bombes et missiles sur l'ennemi. Mais, chacun a son importance. Il suffit de visiter les entrailles pour comprendre. De nuit, les couloirs sont éclairés à la lumière rouge. Pour arriver au grand hangar, sous le pont, on doit emprunter un labyrinthe d'escaliers et de coursives dans lesquelles on pourrait se croire dans un sous-marin. Et, tout à coup, on se retrouve dans un immense atelier où œuvrent les mécaniciens. Les avions sont auscultés, pièce par pièce. Avant de repartir au combat, ils font peau neuve. L'électronique embarquée est digne d'une navette spatiale, le tout dans un écrin de mécanique de précision. Pas le moindre détail laissé au hasard ! Il en va de la vie des pilotes.
Malgré tous les efforts, un pépin est toujours possible. C'est la raison pour laquelle, lors de chaque décollage, un hélicoptère Dauphin Pedro prend l'air, avec un plongeur équipé à son bord. « Il suffit d'une panne moteur pendant le catapultage et il n'y a plus rien à faire. C'est l'éjection obligatoire », témoigne un pilote. Dans ce cas, l'appareil est perdu, le plongeur est largué immédiatement pour sauver la vie du pilote.
D'autres hélicoptères sont présents à bord, les Caracal, prêts à embarquer des commandos rôdés à la récupération de pilotes éjectés en territoire ennemi. Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, lorsqu'il était à bord du porte-avions, mardi dernier, a assisté à une démonstration de l'efficacité de ces hommes. En deux minutes, ils sont capables de descendre du Caracal, en vol stationnaire, le long d'un câble, pour se retrouver immédiatement en position de combat. Le but est de récupérer le pilote qui, auparavant, aura déclenché sa balise de détresse, lâchant des informations sur sa situation, au travers de codes connus des seules forces de la coalition.
Tourné tout entier vers le combat, le Charles-de-Gaulle ne serait rien sans toute la flottille qui l'accompagne. De temps à autre, depuis le pont, on voit les frégates Forbin, Jean Bart, Dupleix et Aconit, vouées à sa protection, ou le pétrolier ravitailleur Meuse. Quant au sous-marin nucléaire qui le suit, on ne le voit pas, mais il est là, c'est le « guerrier de l'ombre », comme disent les marins. Ces précautions ne sont pas inutiles dans une configuration où l'on peut craindre une attaque terroriste. Le contre-amiral Philippe Coindreau, commandant de la Task Force 473, ne cache pas ce risque. Analysant le conflit libyen, il reconnaît que, parmi les inquiétudes des alliés, il y a le possible armement de combattants de l'Aqmi (Al Qaeda au Maghreb islamique) et, aussi, la fuite massive de réfugiés d'Afrique du Nord et subsaharienne.
Des pêcheurs libyens en pleine zone de guerre
Reste dans toutes les mémoires l'attaque terroriste dont avait été victime le porte-avions américain USS Cole, au Yémen. On imagine mal, cependant, comment un navire ennemi, le plus petit soit il, pourrait s'approcher du Charles-de-Gaulle. En salle radar, tout ce qui flotte et tout ce qui vole apparaît. Chaque bateau, par exemple, est identifié par un système de points. Les rouges constituent des ennemis potentiels, les verts ont été reconnus sans danger. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a encore, dans la zone de guerre, des pêcheurs libyens partis en mer pour tendre leurs filets !
Combien de temps encore, le Charles-de-Gaulle restera-t-il sur zone, alors que la majorité des moyens antiaériens du colonel Kadhafi ont été détruits ? Chaque semaine, les pilotes se reposent une journée. C'est le « no fly day ». A ce rythme, les hommes se fatiguent vite. Pas de délai annoncé officiellement en tout cas. Comme l'a précisé Gérard Longuet, à bord du porte-avions : « Donner des délais reviendrait à afficher une faiblesse ». Et, pour l'instant, on est toujours dans la démonstration de force.
Reportage de Ludovic BASSAND à bord du Charles-de-Gaulle
http://www.estrepublicain.fr/fr/france-monde/info/4868042-Envoye-Special-face-a-Kadhafi-sur-le-Charles-de-Gaulle

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