Énorme tapage au ministère de la Défense et à l'état-major des armées, après l'interview qu'a donnée le général de division (trois étoiles) Vincent Desportes au Monde, et qui est parue dans l'édition datée du 2 juillet. Cet officier qui commande actuellement le Collège interarmées de défense tient un discours que nombre de militaires et d'experts de l'Afghanistan partagent. À savoir que la guerre engagée depuis 8 ans et demi par les États-Unis et leurs alliés est mal partie, que les insurgés mettent à mal la stratégie déployée par la coalition occidentale et que les deux options militaires successivement employées jusqu'à aujourd'hui ne donnent pas de résultat tangible. Desportes n'y va pas par quatre chemins, quand il écrit, avec raison : "Factuellement, la situation n'a jamais été pire." Il donne également un avis tranché quand il estime que le président Barack Obama a choisi la demi-mesure en acceptant d'envoyer 30.000 hommes en renfort, "alors que ce devait être zéro ou 100.000 de plus. On ne fait pas de demi-guerres." Le troisième argument de l'officier est tout aussi assez sévère : "C'est une guerre américaine. Quand vous êtes actionnaire à 1 %, vous n'avez pas la parole."
Il semble bien qu'une lourde sanction soit sur le point d'être prise à son encontre et que Vincent Desportes soit très près d'être relevé de son commandement, qu'il quittera de toute façon le 31 août pour rejoindre le "cadre de réserve". Il pourrait également être mis à la retraite d'office, sanction rarissime d'une extrême gravité. Il est convoqué vendredi soir par l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées, qui a manifesté son courroux dans la matinée au micro d'Europe 1, en évoquant une "faute" de Vincent Desportes : "Je pense que c'est une opinion malvenue et que je qualifierais d'irresponsable, car elle vient de quelqu'un qui est en activité et qui, de ce fait, a une crédibilité."
Spéculations autour d'une réunion de l'Otan
Édouard Guillaud, qui a été le chef d'état-major particulier des présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, refuse le terme de "guerre américaine" : "Je m'inscris totalement en faux avec une telle affirmation, connaissant de l'intérieur la façon dont sont prises les décisions." Plus surprenant, selon le CEMA, c'est le président français en personne qui aurait défini la stratégie de l'Alliance en Afghanistan : "Cette stratégie a été demandée par le président de la République française Nicolas Sarkozy dès avril 2008 (au sommet de l'Otan) à Bucarest, elle a été validée à Strasbourg lors de la réunion de l'Otan, il y a un an, et elle est mise en oeuvre depuis l'automne 2009." Un avis curieux, car c'est plutôt l'inverse qui s'est produit : la nouvelle stratégie qui a été voulue par Barack Obama après son élection a été mise en oeuvre par le général Stanley McChrystal en Afghanistan. Elle exigeait beaucoup de moyens humains et les Français n'ont envoyé que quelques dizaines de soldats en renfort, tout en prétendant qu'ils ne le faisaient pas ! Pour une stratégie qu'on aurait soi-même demandée, c'est limite...
Si le général Desportes devait être lourdement sanctionné, ce serait sans doute une occasion pour l'amiral Guillaud d'affirmer son autorité. Que personne ne conteste, au demeurant. Mais s'il agissait ainsi, il donnerait un très mauvais signal aux armées en condamnant un camarade - selon le terme désormais consacré entre militaires - qui s'est exprimé dans son domaine de compétence, en n'attaquant aucune autorité politique et tout en émettant un avis raisonné sur une stratégie discutable. Voici plusieurs mois, l'Élysée avait lancé une enquête pour que soit connue l'identité de l'auteur collectif qui avait signé Surcouf, dans Le Figaro, un pamphlet médiocre contre la politique française de défense. Desportes n'est ni un sot ni un cagoulard. Il a transcrit en termes forts des opinions très répandues dans les armées. Si le président de la République, qui l'a nommé, acceptait qu'une sanction frappe ce général en activité, ce serait la première fois qu'un tel événement se produirait depuis 1986. Et il peut être assuré d'une chose : dans une telle hypothèse, les Surcouf fleuriraient sur le champ de bataille parisien !
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/jean-guisnel/psychodrame-parisien-autour-de-la-strategie-militaire-en-afghanistan-02-07-2010-1210328_53.php
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