samedi 26 juin 2010

Discours du CEMA en clôture du CID

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Allocution de l’amiral Edouard Guillaud, chef d’état major des armées, en clôture de la scolarité du collège interarmées de défense le 22 juin 2010.


Vous terminez aujourd’hui votre année à l’Ecole de Guerre, (c’est à dessein que j’emploi le terme « Ecole de Guerre ». Il traduit bien ce pourquoi nous sommes formés ; en outre, il signifie quelque-chose pour la société civile). Votre année à l’Ecole de Guerre a donc été une année riche, une année passionnante parce qu’une année qui vous a ouvert à d’autres perspectives, à d’autres horizons, à d’autres problématiques…c’est aussi une année interarmées, une année interalliée, une année multinationale et je salue ici, les 78 pays représentés qui nous confient 110 officiers pour suivre notre formation.

C’est enfin et surtout, une année d’études, une année de réflexion, une année qui vous a «ré appris à penser » ; une année destinée à vous faire passer du rôle d’exécutant technico tactique d’armée à celui de responsables opératifs interarmées, avant une troisième partie de carrière, où vous deviendrez alors, des responsables stratégiques interarmées ! N’ayons pas peur des mots.
Vous êtes donc au seuil d’une deuxième partie de carrière ; vous y êtes bien préparés. La réforme ambitieuse « CID 2010 », avec un enseignement tourné vers l’action, où vous-mêmes avez été les propres acteurs de votre formation vous permet d’aborder avec sérénité les défis à venir.
Trois défis majeurs vous attendent dans les postes que vous occuperez bientôt.

Le premier, c’est notre finalité, c’est le défi opérationnel.
Ce défi opérationnel, c’est notre raison d’être, le cœur de notre métier, le cœur de notre engagement au service de notre pays. Quelle que soit votre affectation, le sens et la finalité de votre action doivent être guidés par ce souci constant d’assurer l’efficacité des opérations qui nous sont confiées et que nous conduisons. Tout doit converger vers le succès des armes de la France.

Cela passe avant tout par la confiance que vous saurez inspirer aux hommes et aux femmes qui vous seront confiés, à la motivation que vous saurez leur insuffler en tant que chef, à leurs qualités que vous saurez valoriser, à la cohésion que vous saurez construire.

« Il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines ! » disait fort justement Antoine de Saint Exupéry. Ces relations humaines sont au cœur de tout. C’est la clé des Armées, soyez en convaincu !

Le second défi, c’est une condition de notre succès, c’est la transformation des armées.
Notre institution vit une profonde transformation. Cette transformation est nécessaire et salutaire.
Elle est nécessaire, parce que notre défense est confrontée à la résolution d’une équation complexe : affronter les menaces hybrides d’aujourd’hui, se préparer à affronter les menaces de demain, au sein d’une PSDC à construire et d’une alliance atlantique à rénover, le tout dans un contexte de « surprise stratégique » financière ! Le contexte est difficile, nous le savons tous.

Une des réponses à cette équation, c’est la réussite de cette transformation. Vous en connaissez les principaux traits.

C’est une manœuvre d’ensemble des armées et du ministère qui vise à rationaliser notre administration et notre soutien, à l’aune des conclusions du Livre Blanc et dans le cadre de la RGPP. Cette manœuvre d’ensemble, c’est aussi une manœuvre ensemble, puisque nous sommes tous, à notre place, acteurs de cette réforme.
Cette transformation est salutaire aussi : elle est salutaire parce qu’elle nous oblige à une remise en question : elle brise nos certitudes, elle change nos habitudes, elle stimule la réflexion prospective indissociable de toute pensée stratégique aboutie. « Le formalisme et la routine » dénoncés par le général de Gaulle, ont été la cause des désastres de 1806 pour la Prusse, de 1870 et 1940 pour la France, de 1904, 1914 et 1941 pour la Russie…ce sont les exemples, et il y en a bien d’autres, qui doivent nous inciter à nous confronter à l’improbable, à défier nos visions, nos perceptions et nos représentations du monde ! Cela exige de l’humilité et du travail.

Notre troisième défi, c’est celui sur lequel je souhaite insister aujourd’hui. Il s’agit de notre rôle et de notre place dans la Nation.
Les armées jouissent, en France, d’une bonne image ; certes ! Pour autant elles sont méconnues quand elles ne sont pas tout simplement inconnues.

La guerre est absente des préoccupations de notre société : nos engagements sont lointains, la notion de défense nationale est de plus en plus virtuelle, la culture d’un esprit de défense est superficielle.
Quant à la résilience de la Nation, réclamée dans le LBDSN, si je souscris à ce besoin, force est de constater que c’est encore un « vaste programme » !

Aucune politique de défense n’a de valeur sans consentement national, sans l’adhésion de la Nation. Pour adhérer, il faut connaître, il faut comprendre ! Pour faire adhérer, il faut se faire connaître, il faut se faire comprendre. La défense se construit avec la Nation et non à côté.

Nous offrons une assurance vie aux Français, à la nation française ! Cette assurance, c’est la capacité des Armées à répondre aux menaces, aux menaces qui pourraient mettre en péril la Nation ou ses intérêts. Je parle des menaces d’aujourd’hui, mais aussi des menaces de demain. Aujourd’hui, la lutte contre les foyers terroristes, la lutte contre la piraterie s’inscrivent dans les clauses de cette assurance !
Cette assurance vie, c’est à nous de l’expliquer. Quel est celui d’entre vous qui ne se pencherait pas sur son contrat d’assurance pour en évaluer l’efficience à travers les clauses souscrites ?
L’improbable est toujours possible ! La guerre est dans le champ du possible !

L’Histoire ne s’est pas arrêtée, l’Histoire est sanglante par essence. Notre pays a subi cinq invasions en deux siècles, et autant de « guerres intérieures » ou « guerres civiles ! »…cela mérite réflexion.
Il ne s’agit pas de jouer les « Cassandre » mais seulement de méditer l’Histoire et comprendre l’enchaînement tragique des évènements. L’Histoire ne se répète pas, mais l’Histoire a ses constantes. La guerre en est une ! « La guerre de Troie n’aura pas lieu », et pourtant elle a bien eu lieu ! Relisez Jean Giraudoux !
Les dépenses consenties pour notre Défense nous prémunissent aujourd’hui contre cet improbable qui est toujours possible, et que nous ne pouvons ignorer.
Notre rôle est ici déterminant. Nous avons un devoir d’expression, un devoir de communication, un devoir de rayonnement. Nous devons être présents sur la place publique. A nous d’expliquer ce que nous sommes, ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et comment nous le faisons. A nous d’expliquer quel type d’assurance vie nous offrons aux français !
Cette posture ouverte que je vous demande d’adopter, c’est celle d’officiers garants d’une insertion harmonieuse des armées au sein de la Nation, celle d’officiers capables de diffuser, d’innerver l’esprit de défense chez nos concitoyens, celle d’officiers acteur et promoteur de la résilience de la Nation.

Hubert Lyautey, quand il était jeune capitaine disait déjà : « celui qui n’est que militaire est un mauvais militaire ». Ne soyez donc pas que des militaires militaro centrés ; vous êtes des citoyens avant tout, mais qui revendiquez votre spécificité, votre identité et votre intelligence de métier.

Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera à notre place. C’est bien là notre rôle politique, au sens littéral du terme.

Le colloque CID / ENA / HEC que vous avez organisé le 26 mai dernier, relève parfaitement de cette dynamique de rayonnement. Je vous en félicite !
Le devoir de réserve n’est pas le prétexte à une réserve muette qui à force d’être muette devient lâche et in fine irresponsable ! Nous avons notre place dans le débat stratégique.

A ce sujet, deux points : nous devons revendiquer - mot devenu syndical malheureusement – notre place dans le débat stratégique. Et nous devons le faire publiquement, surtout pas anonymement.
Enfin, vous devez bien intégrer deux dimensions qui nous caractérisent :

Nous sommes des citoyens, acteurs dans la Cité et des officiers, défenseurs de la Cité ! C’est un bon résumé de ce que nous devons être !
Pour relever ces défis majeurs que je viens d’évoquer, j’attends des officiers brevetés que vous êtes désormais, et ayant acquis le niveau de discernement nécessaire : du courage, de l’imagination et de la cohésion.

Du courage, parce que c’est la vertu première d’un officier.
Le courage, c’est d’abord le cœur à l’ouvrage. C’est votre travail quotidien, pour l’intérêt général, pour le bien commun, pour le service de notre pays. Ce courage est d’autant plus exigeant qu’il vous engage totalement : physiquement, moralement, intellectuellement, et d’abord pour ceux que la Nation nous confie !
Le courage, c’est aussi le courage moral. C’est celui qui consiste s’exposer, en donnant son propre avis, même si cet avis s’oppose à celui de la majorité ou à celui de ses supérieurs. Emettre un avis différent de celui de son chef, de manière objective et argumentée, pour le bien commun, ce n’est pas si simple ! Il faut une certaine dose de courage !
Le courage, c’est enfin le courage intellectuel. Il est très facile, dans notre système naturellement hiérarchisé, d’épouser la pensée dominante et de développer un projet uniquement à l’intérieur de ce cadre. Pas de syndrome de la « pensée unique »… « Le feu tue, les idées périmées aussi ! » Foch a raison !

Aussi, vous aurez besoin de courage pour accepter de confronter vos idées au regard des autres, en les défendant avec énergie, tant que personne ne sera venu les réfuter. Il vous faudra le même courage, celui de l’humilité, pour accepter l’inanité ou la défaite de vos propres idées. Ce n’est jamais une honte, puisque les seuls à ne pas encourir ce risque sont ceux qui n’osent pas exposer leurs idées à la confrontation !

Et puis comme j’évoque les idées, je vous demanderai aussi de faire preuve d’imagination.
C’est la deuxième chose que je vous demande.

La raison est simple : vous êtes les auteurs de l’armée de demain. Vous êtes ceux qui allez construire la défense de 2030, au sein d’un monde inquiétant à force d’être incertain.
Vous devez donc penser aujourd’hui pour inventer demain comme vous devez agir aujourd’hui en méditant hier !
C’est essentiel. C’est votre réflexion, votre imagination, votre esprit d’innovation qui détermineront la valeur de notre outil de défense, l’adaptation de nos doctrines, la pertinence de nos organisations et de nos modèles de forces.
Mais attention, ne vous contentez pas seulement d’imaginer et de concevoir, vous devrez aussi construire et commander. Parce que pour construire, il faut commander, il faut s’engager, il faut prendre ses responsabilités et les assumer!
Ne soyez donc pas ces officiers « qui prennent la pose, les pieds au chaud et qui raisonnent en chambre à leur aise ! » pour reprendre les propos de M. de VAUBAN sur les officiers de salon !
La réflexion n’est noble que dans la perspective de l’action.

La troisième chose que je vous demande c’est de cultiver la cohésion.
La cohésion parce que les armées forment un ensemble cohérent. Vous avez appris à mieux le mesurer cette année.
« Pour qu’il y ait ensemble, il faut qu’il y ait entente ». C’est encore Foch qui disait cela. Les armées sont fortes quand elles sont unies, les armées pèsent quand elles sont cohérentes, les armées rayonnent quand elles parlent d’une même voix.
Mon rôle de CEMA est d’assurer cette cohérence, cet ensemble et cette unicité. J’ai besoin des relais que vous êtes, que vous serez chacun à votre place, sans corporatisme de mauvais aloi, propre à notre esprit gaulois.
Voilà ce que je comptais vous dire, à l’orée de votre deuxième partie de carrière. J’ai besoin de vous, de votre enthousiasme, de vos idées et de votre engagement au service des armes de la France. Je vous souhaite à toutes et à tous, bon vent dans vos futures affectations.
Je souhaite aux officiers étrangers qui sont venus enrichir nos rangs, d’enrichir en retour les rangs de leurs armées respectives avec ce qu’ils ont su trouver chez nous.
Nul doute que les liens que vous aurez su tisser ici, seront précieux à l’avenir. Rien ne remplace la connaissance personnelle…elle peut résoudre bien des conflits et aplanir bien des difficultés dans notre monde mondialisé.
Puisse le socle de solidarité développé par la promotion « maréchal Lyautey », votre promotion, inspirer l’avenir de nos défenses respectives !
Je vous remercie.
http://www.defense.gouv.fr/ema/commandement/le_chef_d_etat_major/interventions/discours/24_06_10_discours_du_cema_en_cloture_du_cid


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