La France espère remporter une victoire stratégique au Brésil en plaçant 36 avions de combat Rafale, mais les Etats-Unis n'ont pas dit leur dernier mot et l'élection présidentielle brésilienne du 3 octobre prochain pourrait rebattre les cartes.
Brasilia doit se prononcer d'ici fin juillet sur un appel d'offres de renouvellement de sa flotte d'avions de combat et choisir un partenaire pour une négociation exclusive.
Aux côtés du Rafale de Dassault Aviation, le Gripen du suédois Saab et le F-18 Super Hornet de l'américain Boeing sont finalistes pour un contrat estimé à quelque cinq milliards d'euros.
Le président Nicolas Sarkozy, très actif dans le dossier, devrait une nouvelle fois aborder la question mardi lors d'une rencontre bilatérale avec son homologue Luiz Inacio Lula da Silva, en marge d'un sommet Union Européenne-Amérique du Sud à Madrid.
Les analystes et experts interrogés par Reuters s'accordent sur le fait que le constructeur français a de bonnes chances d'être retenu, mais ils préviennent aussi que la bataille se livrera jusqu'au dernier jour et qu'une entrée en négociation ne saurait assurer le fameux "ticket export" que Dassault attend depuis plusieurs années et après plusieurs échecs, notamment au Maroc et en Corée du Sud.
"Les contacts entre les Brésiliens et les Français ont bien avancé, tant sur la question des transferts de technologie que de la maintenance en condition opérationnelle (MCO) mais Dassault ne veut pas réduire ses prix. Et puis il y a l'élection, et là on ne sait pas ce qui peut se passer politiquement", a déclaré à Reuters une source industrielle qui a tenu à garder l'anonymat.
"Chaque semaine qui nous rapproche de l'élection nous inquiète un peu plus", ajoute une autre source, proche de la partie française.
TENSIONS AVEC L'ARMÉE DE L'AIR
Le ministre brésilien de la Défense, Nelson Jobim, s'est prononcé le 7 avril en faveur du Rafale en dépit de son coût, jugé plus élevé que celui de ses deux concurrents, tandis que le président "Lula" a exprimé sa préférence pour l'avion français à plusieurs reprises.
Les électeurs brésiliens sont toutefois appelés aux urnes le 3 octobre pour élire un successeur au président "Lula", contraint de passer la main après deux mandats consécutifs, et, quelle que soit son étiquette politique, le futur président sera amené à s'impliquer dans le choix des avions de combat.
"Même si le Rafale est retenu, et qu'une négociation exclusive s'engage dans les jours qui viennent, il est peu probable qu'elle aboutisse avant le passage de pouvoirs prévu fin octobre", explique une troisième source.
Certains experts estiment même que le nouveau président pourrait exiger une pause de la négociation, voire le lancement d'un nouvel appel d'offres, car des généraux brésiliens plaident la cause du Gripen.
"Il y a toujours des tensions entre l'armée de l'air et le gouvernement. Lula a opté pour Dassault et pour des relations industrielles avec la France, mais l'armée se fait une autre idée", fait valoir Richard Aboulafia, analyste Défense auprès du cabinet Teal Group, à Washington.
"N'importe quel ministre de la Défense se range du côté de son gouvernement, mais le Rafale va peser sur le budget de l'armée qui privilégie le nombre d'avions et les heures de vol", poursuit-il.
TRIPLE ENJEU
L'arbitrage ne relève cependant pas seulement de considérations techniques. L'enjeu est stratégique, politique et économique pour le Brésil qui a fait du secteur aéronautique une de ses priorités autour de son constructeur phare Embraer.
En sus de la question sensible du prix, la qualité des transferts de technologie proposés devrait jouer un rôle clé.
Politiquement en revanche, le choix d'un constructeur américain pourrait s'avérer délicat pour Brasilia.
"Il ne serait pas facile de justifier l'achat d'un appareil US dans un pays sud-américain. Les Etats-Unis ne sont pas populaires dans la région même s'ils ont une influence économique indéniable", observe François Heisbourg, conseiller spécial auprès de la Fondation pour la recherche stratégique.
"Le choix du Gripen ou du Rafale serait bien moins difficile à faire passer dans l'opinion publique et auprès des voisins du Brésil", ajoute-t-il, un point de vue partagé par Richard Aboulafia.
Boeing et le Pentagone resteront néanmoins très attentifs. Le porte-avions Carl Vinson de l'US Navy a effectué une visite en février à Rio de Janeiro avec des F-18 à son bord et un nouveau pacte de défense vient d'être signé entre les Etats-Unis et le Brésil, à l'image d'un accord comparable noué avec la France l'an passé.
L'Express
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