lundi 24 mai 2010

Après l'Irak, j'en ai fini avec le reportage de guerre"

Grand reporter au Washington Post, David Finkel publie les chroniques qu'il a tiré, huit mois durant, du quotidien d'un bataillon de l'armée américaine dans la banlieue de Bagdad. Après avoir répondu aux internautes dans un chat, le lauréat du prix Pulitzer 2006 nous raconte comment est né " De bons petits soldats ".

Comment vous est venue l'idée d'écrire "De bons petits soldats"?

J'ai grandi en lisant d'autres versions de ce livre, sur la guerre du Vietnam tout particulièrement. Je me prédestinais à devenir journaliste, et les témoignages qui en ont été tirés me paraissaient essentiels. En 2007, pleins de livres avaient déjà été écrits sur l'Irak. Je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas un manque d'information, mais un manque d'intérêt pour le sujet. Je n'apporte d'ailleurs aucun nouvel élément: la guerre est une chose horrible, elle fait faire des choses terribles aux gens. Mais je voulais le voir par moi-même, prendre le temps nécessaire, alors que personne ne racontait vraiment quel effet cela faisait d'être un soldat, à ce moment et à cet endroit précis.

Pourquoi l'Irak et pas l'Afghanistan?

En 2007, avec le "surge" - la montée en puissance et le renvoi de troupes - décidée par le président Bush, la guerre semblait plus tragique que jamais. En tant qu'écrivain, cela me paraissait être un moment intéressant pour aborder le sujet. J'avais déjà couvert des zones de conflits auparavant, au Kosovo et en Afghanistan. Mais l'Irak était la guerre du moment. Elle était différente des autres, et elle m'aura beaucoup plus marqué.

Comment ?

Peut-être suis-je resté suffisamment longtemps pour avoir un bon aperçu de ce qu'est réellement la guerre. Les hommes étaient stationnés à Rustamiyah, et j'ai partagé leur quotidien pendant huit mois. La base n'était pas dans le pire endroit en Irak, mais ce n'était pas le meilleur non plus.

Après le calme du début, la manière dont la situation a progressivement empiré m'a fait comprendre à quel point la guerre pouvait être terrifiante. J'ai compris assez pour en avoir peur, et me dire que je ne retenterai pas l'expérience. Certains journalistes aiment couvrir les conflits. Pour ma part, j'en ai fini avec le reportage de guerre.

Quel a été l'accueil des hommes du 2-16, le bataillon d'infanterie que vous avez suivi ?

J'avais passé un accord avec le lieutenant-colonel Kauzlarich: j'étais là pour écrire sur les hommes uniquement, car je ne cherchais pas à écrire une analyse politique. En conséquence de quoi je n'ai eu aucune restriction de mouvement, ou d'accès aux hommes. La plupart ne me faisaient pas confiance au début. Les soldats avaient 19 ans en moyenne, et moi un peu plus de 50 ans: j'aurais pu être leur père. Aussi, ils n'avaient que des idées préconçues sur le métier de journaliste, et pensaient que j'écrirai qu'ils étaient des criminels de guerre en puissance.

C'est parce que je suis resté si longtemps avec eux, et que j'étais présent quand tout allait mal, que je suis devenu crédible à leurs yeux. Surtout, je n'ai jamais prétendu connaître leur quotidien: je voulais juste apprendre. Je crois cependant que ce n'est qu'après la parution du livre, qu'ils ont compris ce que je faisais.

Avez-vous revu ces soldats depuis ?

Je suis resté en contact avec certains. J'ai reçu des centaines de courriels, de la part des soldats du 2-16 et d'autres bataillons. Dans la plupart des cas, ces hommes me disent qu'ils ne veulent pas, ou ne peuvent pas parler de ce qui s'est passé en Irak. Mais ils me remercient, parce que dorénavant, ils pourront conseiller mon livre à ceux qui veulent savoir.

Les soldats américains rentrés d'Irak reçoivent-ils le soutien psychologique nécessaire ?

Non, clairement. Des efforts sont faits, mais souvent, on ne décide de voir que le plus évident. On sait quand un homme a perdu une jambe ou un bras sur le champ de bataille, mais comment savoir quand il a perdu la raison?

Dans le livre, je raconte l'histoire de ce soldat qui a dû porter sur son dos un camarade gravement blessé après une embuscade. Le corps était placé sur ses épaules de telle manière qu'il s'est retrouvé à boire le sang qui coulait de sa tête. Trois ans plus tard, le goût du sang de cet ami n'a pas quitté sa bouche. C'était l'un des meilleurs soldats du bataillon, et bien qu'il n'ait aucune séquelle physique, il est aujourd'hui un homme détruit.
L'express

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