samedi 12 juillet 2014

Loi de programmation militaire : le jour d'après

L'exemple des drones est éclairant. Voici un quart de siècle, après la première guerre du Golfe, la France a décidé, en pleine connaissance de cause, de ne pas s'engager dans la production de drones, qui avait pourtant été lancée aux États-Unis et en Israël. Dans ce cas, il ne s'est nullement agi de cécité, mais bien de l'un de ces choix que les militaires et les politiques français sont si souvent accusés de ne pas savoir faire : ils ont choisi de ne pas lancer de drones, pour ne pas soustraire un seul argument aux partisans de la "composante pilotée", en l'occurrence le Rafale.
Résultat : les drones MALE (Moyenne altitude, longue endurance) de la gamme Predator/Reaper, qui volent chaque jour par dizaines, ont été tardivement acquis par la France aux États-Unis. Mais pour d'obscures raisons qu'il faudra bien expliquer un jour, cet engin aux cocardes françaises n'a pas été équipé de ses armes. De plus, il n'a pas le droit de voler au-dessus de la France, ce qui illustre à tout le moins une souveraineté limitée...
Les armées et les industriels bataillent aujourd'hui dans un contexte budgétaire épouvantable à lancer de futurs programmes de drones. Tous ont échoué à trouver des partenariats européens, sauf le démonstrateur Neuron, piloté par Dassault, succès technique dont l'avenir n'est nullement assuré. Conclusion : quand on manque une marche, il est extrêmement difficile de la grimper ensuite.

"Remontée en puissance"

C'est très exactement le thème d'une étude que le LRD (Laboratoire de recherche sur la défense) de l'Ifri (Institut français des relations internationales) vient de publier sous le titre : "Les chausse-trapes de la remontée en puissance. Défis et écueils du redressement militaire." Rédigé par le chercheur Guillaume Garnier, par ailleurs saint-cyrien et lieutenant-colonel, ce document postule que, si la logique de la Ve République était respectée, la loi de programmation 2014-2019 ne serait pas respectée. La pertinence du propos est indiscutable, au moins autant que les éventuelles conséquences d'un non-respect de la LPM. Comme l'écrit le chercheur à juste raison : "Si ce rendez-vous devait une nouvelle fois être manqué, il faudrait cette fois acter le déclassement stratégique de la France."
Car, de fait, ni les moyens humains ni les moyens matériels qui font l'objet de cette étude ne permettraient plus de conduire l'éventail complet des missions que peuvent aujourd'hui assurer les armées françaises. Comme dans le cas des drones, reprendre à zéro des secteurs laissés à l'abandon consisterait à "s'inscrire dans une logique de remontée en puissance à plus long terme, donc beaucoup plus fondamentale et périlleuse à mener. On changerait d'échelle pour passer d'un principe de consolidation à un principe de renforcement structurel ou même de reconstitution de long terme". Comme dans le cas de l'aéronautique navale britannique, qui a réussi l'exploit de céder aux États-Unis la technologie du Harrier à décollage vertical, rachetée quelques années plus tard sous la forme du Lighting II F-35B. Qui coûte une fortune et... ne fonctionne pas ! "Au bilan, le redressement capacitaire britannique dans ce domaine débutera au mieux vers 2018, pour n'atteindre sa pleine maturité que vers 2030."

L'export, une panacée ?

Pour ne point perdre les compétences que le seul marché national ne permettrait plus de préserver, une seule vraie solution, l'exportation, "appelée à être particulièrement exacerbée ; le rang de la BITD (Base industrielle et technologique de défense) française se joue dans les années à venir sur les commandes qu'elle aura réussi à engranger à l'extérieur", écrit Guillaume Garnier. De ce point de vue, la France a remporté de beaux succès : sous-marins Scorpène en Inde et au Brésil, hélicoptères au Brésil et aux USA, Mistral à la Russie, etc. Mais l'export n'est pas une panacée : le contrat portant sur la vente de Rafale à l'Inde, qui tarde à être signé, conditionne le respect de la loi de programmation militaire. Celle-ci prévoit en effet de faire tourner les chaînes de montage de Dassault avec ces appareils vendus aux Indiens. L'éventualité d'un échec n'a pas été prise en considération.
L'une des solutions réside-t-elle dans la fusion des industries de défense à l'échelle européenne aujourd'hui éparpillée ? Guillaume Garnier n'est pas optimiste : "Le risque de ce morcellement industriel est de voir des pans entiers de compétences s'effondrer non pas seulement en France, mais sur l'ensemble du continent, sapant les possibilités ultérieures de remontée en puissance à cette échelle géographique."
Pour tous ceux qui s'intéressent à l'avenir militaire de la France et ne cèdent pas aux sirènes affirmant que tout ira bien, cette lecture n'est guère réjouissante. Mais elle est nécessaire.
 

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