Les 3es Rencontres militaires blessures et sports débutent lundi à Bourges. L’occasion de vérifier les progrès de la prise en charge des quelque 9.000 soldats grièvement blessés en mission.
Il avait la vie devant lui. Une vocation trouvée dès l'adolescence, le métier des armes. Un prestigieux diplôme en poche. Une affectation dans un régiment dépendant des forces spéciales, l'aptitude et le goût au commandement et aux missions secrètes et périlleuses. "Un de mes copains était mort lors d'un entraînement à l'explosif. J'avais donc prévenu mes parents : "Je peux me blesser, je peux mourir et si cela arrive, il ne faudra en vouloir à personne."" En août 2012, dans le Sahel, le véhicule du capitaine César* se retourne dans les dunes lors d'un exercice. Rupture des cervicales : à 24 ans, le prometteur officier se retrouve tétraplégique. "Ma première pensée a été : "Avec les filles, c'est terminé!"" On s'attendrait à ce qu'il craque, qu'il se révolte, qu'il en veuille au règlement qui empêche les forces spéciales d'attacher leur ceinture de sécurité pour être immédiatement prêts à intervenir. Qu'il sombre dans la dépression, l'alcoolisme, "ce qui arrive parfois, nous avons des cas de déshérence sociale", reconnaît le colonel Maloux, patron de la Cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre (Cabat) et qui a ouvert ses portes en exclusivité pour le JDD.
Autant le dire d'emblée, le jeune capitaine César est un homme exceptionnel de courage et de volonté. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, tous les militaires blessés par balles, par explosifs ou accidentés ne réagissent pas comme lui. Aucune rancœur, aucune colère dans ses mots, mais au contraire de la reconnaissance. Pour les hommes qui l'ont soigné dans le désert au moment de l'accident ; pour ceux qui l'ont rapatrié en urgence puis opéré et retapé à Paris. Pour le président Hollande et les chefs d'état-major qui sont venus lui rendre visite, pour l'institution militaire et la façon dont elle a, assure-t-il, pris en charge sa santé, son avenir, la peine et l'angoisse de ses parents. "Quand vous devenez tétraplégique, votre monde se restreint tellement… Il faut alors redessiner le champ des possibles. J'y suis parvenu grâce à tous les soutiens que j'ai reçus."
Apprendre à vivre avec les séquelles de l'accident
L'armée française a mis du temps avant de réellement se préoccuper du devenir de ses hommes grièvement blessés. Quelles séquelles physiques et psychologiques? Quelle vie avec un handicap? Quelles sources de revenus, quel impact sur la vie professionnelle et familiale? Confrontée aux 1.300 victimes rapatriées d'Afghanistan et des autres théâtres d'opérations depuis 2010, la Cabat a été réformée pour permettre un suivi financier, professionnel, social et psychologique du soldat blessé. "La majorité des gars vous attrapent par le bras et vous disent : "Je veux ma vie d'avant!", explique le colonel Maloux. Notre mission consiste justement à les aider à faire le deuil de cette vie passée et à construire avec eux celle d'après."
Des quatre membres, seul le bras gauche est parfaitement valide. Paralysé du bas du corps, César, qui séjourne depuis un an à l'Institut national des Invalides à Paris, recouvre peu à peu l'usage du bras droit, parvenant désormais à serrer la main. Au départ, le capitaine rêvait de réintégrer son régiment d'élite, non pour repartir en Afrique mais pour travailler derrière un bureau. "Il a d'abord fallu lui faire admettre que cela n'était pas possible, précise le colonel Maloux. La règle chez les forces spéciales est que l'intégralité du régiment doit pouvoir être déployée sur le théâtre d'opérations. Et puis quand bien même : je ne suis pas sûr qu'il aurait bien vécu de rester en France quand ses copains seraient tous partis en opérations." Comme à 15 ans, quand il s'était demandé comment devenir officier opérant sur des zones de combat, le jeune capitaine a programmé la suite de sa vie. Réapprendre à se déplacer, à gérer la fatigue, le stress. Apprendre à vivre avec les séquelles de l'accident. Se donner le temps d'y parvenir. Reprendre des études et apprendre l'arabe pour, ensuite, dans quelques mois, occuper un poste à responsabilité au sein des états-majors parisiens.
"Meurtris dans leur âme et dans leur chair"
Sur son chemin, César a trouvé la sergent-chef Gossart, l'un des dix "référents" au sein de la Cabat. Sa mission : écouter, accompagner, soutenir les blessés, leurs familles mais aussi celles des disparus. Trouver le financement pour une prothèse ou un fauteuil roulant, régler les versements de pension ou de primes d'assurance, trouver un psychiatre, se soucier de l'état psychique des épouses et des enfants qui vivent désormais avec "des hommes meurtris dans leur âme et dans leur chair". Du capitaine César, elle garde d'abord le souvenir de l'opéré qu'elle visitait deux fois par semaine à l'hôpital et "qui avait une patate incroyable!" Puis du jeune homme qu'elle a accompagné l'an passé aux Rencontres militaires blessures et sports organisées par la Cabat et dont la 3e édition débutera demain à Bourges en présence du ministre Jean-Yves Le Drian. Tous deux ont constitué un beau duo, lui au tir au fusil, elle à la course d'orientation. "Je lui soutenais le bras pour qu'il puisse viser mais cette année, il n'aura plus besoin de moi." De ces retrouvailles avec le sport, César parle avec un bonheur réjouissant : "Je me disais : "Tu ne vas jamais y arriver." J'ai tiré une première fois, je n'ai rien touché. Et puis c'est revenu. Carton plein, carton plein, et encore… J'ai alors constaté que je n'étais pas devenu si mauvais…"
* Tenus à l'anonymat le plus strict, les militaires des forces spéciales ne peuvent être identifiés que par leur nom de code.
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