dimanche 2 février 2014

L’autre combat des traumatisés de guerre

« Le soldat-machine-de-guerre est un fantasme. Il y a derrière chaque soldat un être humain fait de chair, de sang et animé de sentiments. » Ce témoignage d’un chef de bataillon blessé en 2010 dans la vallée de la Kapisa en Afghanistan remet à sa place l’homme dans cette guerre « propre », presque virtuelle, que les Américains ont voulu présenter lors de leur première intervention en Irak.
C’est d’ailleurs aux Etats-Unis, dans les années 1980, que les premiers cas de PTSD (« post-traumatic stress desorder », ESPT en français pour état de stress post-traumatique) ont été diagnostiqués chez les vétérans du Vietnam, puis ceux d’Afghanistan et d’Irak. Un SDF sur quatre aux Etats-Unis est un ancien combattant.   
L’armée française a mis du temps à mettre un nom sur ces blessures psychiques et à les reconnaître. « Le traumatisme surgit quand on est confronté à sa propre mort, à celle d’un camarade, ou à la découverte d’un charnier, comme ce fut le cas en Bosnie », souligne le médecin-chef Patrick Devillières, coordinateur national du service médico-psychologique des armées, basé à Vincennes. « En Afghanistan, l’intensité, la durée, la violence, la non-identification de l’ennemi, ont amplifié le phénomène. » En fin d’année 2013, deux faits-divers ont pointé des séquelles possibles : un légionnaire tombait dans la délinquance ; un ancien caporal d’Afghanistan était soupçonné d’un meurtre « cannibale » dans les Pyrénées.
Depuis 1992 et un décret, l’armée tente d’améliorer la prise en charge de ses blessures « invisibles », même si elles restent difficiles à déceler et à traiter. Les lignes ont bougé. La « grande muette » a amélioré sa communication, la parole s’est libérée tant chez les blessés qu’au sein de leurs familles. Ce tabou a commencé à se dissiper. « Je me souviens d’un jeune disant qu’il avait perdu sa jambe dans un accident de moto plutôt qu’à la guerre en Afghanistan », rapporte le médecin militaire. Une prise de conscience globale se fait jour au sein de l’armée, et en dehors. 

Un siècle après l’« obusite »

La multiplication des théâtres d’opérations extérieures a mis l’armée devant un constat : un nombre croissant de blessés physiques, donc une augmentation des cas de traumatisés psychiques. « Une évolution sociale », trace Franck de Montleau, médecin-chef à Clamart, « la continuité du flux des blessés dans les hôpitaux nous a mis face à des questionnements, à des défis ». Un meilleur « repérage » a forcément conduit à une augmentation des cas : presque un millier recensé depuis 2002. Médecin des forces et psychiatres travaillent désormais en symbiose, et « tous les médecins envoyés en Afghanistan ont eu une formation sur les troubles psychiques post-traumatiques ». Deux psychiatres sont affectés au Mali.
Il y a un siècle, dans les tranchées de France et de Belgique, une maladie mentale baptisée « obusite » en référence au choc causé par les explosions d’obus minait déjà l’armée. Ces « gueules cassées » étaient parfois traitées de « lâches », « simulateurs », voire exécutés.
Alors que l’on commémore le centenaire de la guerre de 14-18, l’approche a heureusement évolué. Le médecin-chef Devillières traduit : « Face à ces traumatismes de guerre, le regard de l’unité, de la famille et de la Nation a changé ». Même l’hommage solennel de la Nation aux Invalides aux combattants morts participe, selon lui, à cette prise de conscience générale.

http://www.leprogres.fr/societe/2014/02/01/l-autre-combat-des-traumatises-de-guerre

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