mercredi 20 avril 2011

"L'armée de l'air a les moyens d'assurer le commandement opérationnel de l'opération libyenne"

Appartenant aujourd'hui aux cadres de réserve, Jean-Patrick Gaviard est également consultant pour le Centre interarmées de concepts de doctrines et d'expérimentations (CICDE) et le SACT (Supreme Allied Command Transformation), l'un des grands commandements de l'Otan. Il estime que l'organisation des frappes contre la Libye pourrait être améliorée. Notamment parce que l'Otan n'est pas à ses yeux le cadre le mieux adapté pour en exercer le commandement.
Le Point : Quelles sont les premières leçons que vous tirez de la participation française à l'opération en Libye ?
Général de corps aérien (CR) Jean-Patrick Gaviard : La première s'étend du 19 mars au matin jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est une opération strictement française, avec une chaîne de commandement complètement française, du
CDAOA (commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes) que commande le général Gilles Desclaux, vers l'AWACS et les unités aériennes. La planification prévoit alors une zone de supériorité aérienne - interdisant aux avions libyens de voler - géographiquement restreinte autour de Benghazi afin d'appliquer rapidement une directive politique demandant à l'armée de l'air d'arrêter les chars et les blindés menaçant cette ville. Le tempo opérationnel exigeait que les frappes soient organisées dans l'urgence autour de Benghazi, et cela a été parfaitement réalisé. On était vraiment à une heure près, et la chaîne de commandement purement française a parfaitement fonctionné pour atteindre cet objectif. Plus tard, on est entré dans la phase de frappe des Tomahawks tirés par les navires américains et britanniques, et ce sont alors les Américains qui ont pris la main, depuis Ramstein. Les opérations étaient alors conduites par la 17e Air Force, qui coordonnait les plans français et britanniques. On connaît la problématique américaine : ils ne veulent pas être commandés par un non-Américain... Dès lors qu'ils étaient "frappeurs", ils voulaient la main sur les opérations.
Nous sommes dans une autre phase. Les Américains ne frappent plus et l'Otan est aux commandes. Est-ce une bonne solution ?
Lorsque Washington a pris la décision de retirer ses forces des plans de frappe et de ne plus assurer le commandement, il restait deux solutions pour les remplacer. Celle de l'Otan, et celle d'un commandement franco-britannique. La poussée a été forte, côté américain et britannique, pour que ce soit l'Otan qui intervienne. Car les Américains demeurent dans l'opération. Même s'ils ne frappent plus, ils apportent un puissant soutien sous forme de ravitailleurs, d'AWACS, de RC-135 Rivet Joint d'écoute électronique, de E-8 Joint Stars qui surveillent les mouvements au sol. Ils ont aussi des drones, éventuellement armés. De plus, ils sont partout dans l'Otan, avec la garantie de savoir ce qui se passe.

La chaîne de commandement de l'Otan n'est-elle pas trop lourde ?

Nous la connaissons bien : elle est composée des 28 ambassadeurs de l'Alliance, réunis dans le Conseil de l'Atlantique-Nord. Vingt-huit décident, mais deux seulement agissent en frappant : la France et le Royaume-Uni. Les pays restants, auxquels se raccrochent les Suédois, se contentent dans le meilleur des cas de contrôler la zone d'exclusion aérienne. D'autres sont neutres, comme les Allemands, ou franchement contre, comme les Turcs. Or, dans l'Otan, chaque voix compte. Le déroulé des décisions est classique : le Conseil de l'Atlantique-Nord se met d'accord à Bruxelles sur les cibles et les règles d'engagement, transmises au QG de l'Otan à Naples, avant de partir au commandement Air d'Izmir (Turquie), qui transmet enfin au CAOC de Poggio Renatico (Italie). C'est là que sont rédigés les ATO (Air Task Orders) qui sont transmis aux forces.

L'organisation actuelle du commandement est-elle la bonne ?

L'"effet final recherché", c'est-à-dire l'objectif d'une opération, est défini en France par le président de la République et à l'Otan par le Conseil de l'Atlantique-Nord, auquel participent tous les pays membres. Il existe par ailleurs un groupe de contact qui rassemble tous les pays engagés dans l'opération contre la Libye, à savoir la France et le Royaume-Uni qui sont les seuls "frappeurs", de même que les pays arabes et tous ceux qui ne frappent pas de cibles au sol, mais assurent la zone d'interdiction aérienne. Il serait sans doute préférable que la décision soit prise dans cette instance, mais ce n'est pas à moi d'en juger. Ce que j'observe, c'est qu'on aurait très bien pu choisir une autre chaîne de commandement, qui n'aurait pas connu les réticences manifestées au sein de l'Otan.

Mais n'est-ce pas précisément le sens des interventions récentes d'Alain Juppé et de William Hague, son homologue britannique, qui souhaitent que l'Otan s'engage davantage ?

Je ne sais pas quel jeu jouent les Britanniques, qui critiquent l'Otan après avoir demandé qu'elle intervienne ! Je me demande si la France n'a pas cédé à la pression américaine qui voulait que l'Otan prenne la tête. Et peut-être aussi que Paris ne se trouve pas placé systématiquement en avant... Mais aujourd'hui, il n'est pas si facile de faire valoir son point de vue !

Selon l'état-major des armées, la France ne serait pas capable de commander seule une coalition aussi vaste, avec des moyens si divers, venant de tant de pays.

Les capacités de l'armée de l'air lui permettraient d'assurer le commandement opérationnel d'une telle opération. En 2005, la France a dirigé la Force de réaction rapide de l'Otan (NRF) en fournissant des composantes pour les trois armées. Concernant l'armée de l'air, nous avons pu qualifier une force capable de conduire 250 sorties par jour. Nos capacités, certifiées par l'Otan, permettent parfaitement de conduire ces 250 missions quotidiennes. Aujourd'hui, en Libye, l'Otan en conduit 150.

Les opérations contre la Libye ne semblent pas aller aussi vite que le souhaiteraient les politiques...

Dans la première phase consistant à interrompre le bain de sang, la réussite a été parfaite. On a mélangé très vite la mission air-air et la mission air-sol, sans aucun problème, grâce notamment à nos capacités de commandement et de contrôle. J'observe également que nos choix en faveur du Rafale confirment leur validité : pendant que le même avion, dans la même mission, fait de la défense aérienne, il peut aussi frapper au sol. Et ça, le Typhoon ne sait pas le faire !

Mais le colonel Kadhafi s'est adapté à la stratégie exclusivement aérienne !

C'est vrai. Il a vite compris que ses chars et ses blindés sont très vulnérables et il a embarqué ses forces sur des pick-up, qu'il est très difficile de distinguer de ceux des insurgés. La différenciation pour ne pas frapper des véhicules "amis" devient de plus en plus complexe. Les rebelles nous avaient de plus dit qu'ils sauraient nous aider, mais cela n'est pas vraiment le cas. Ils n'y parviennent pas, surtout quand ils sont loin de leurs bases. Il est vrai que les forces loyalistes n'y parviennent pas non plus ! Nous savons depuis l'Afghanistan que les "guideurs" d'avions, les JTAC (Joint terminal attack controller) qui désignent les cibles à l'aide d'un laser ou par d'autres moyens, sont vraiment nécessaires.

Avez-vous des regrets, concernant les moyens dont dispose la France ?

Il est certain que notre capacité en renseignement n'est pas à la hauteur de nos ambitions. Nous avons encore deux Transall Gabriel et les systèmes ASTAC des avions de chasse fonctionnent bien, mais ce n'est pas suffisant. Et surtout notre avenir dans ce domaine n'est pas assuré. Les drones, qu'ils soient armés ou pas, seraient aussi les bienvenus. Il faudrait également, peut-être, que nos avions disposent de bombes de 125 kilos provoquant moins de dégâts collatéraux que celles actuellement en dotation. Dans ce contexte, des drones armés seraient particulièrement utiles.
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