mardi 12 avril 2011

Abidjan : une opération sortie des manuels de l'armée française

Les leçons des conflits des deux dernières décennies et des combats urbains à Sarajevo, Mostar ou Kaboul ont conduit les Français à revisiter leurs analyses des guerres urbaines. Le numéro Géographie et combat en zone urbaine de la revue Cahier de la recherche doctrinale éditée par le Centre de doctrine d'emploi des forces (CDEF) donne un bon aperçu des doctrines en vigueur. Mais c'est dans un document diffusé par le même organisme en juillet 2005, le TTA 980, Manuel d'emploi des forces terrestres en zone urbaine, que l'on peut discerner les principes qui ont été mis en oeuvre dans l'assaut contre la résidence de Laurent Gbagbo le 11 avril. Si le chef d'état-major de l'Onuci est un général togolais, les lignes qui suivent indiquent assez comment cette opération a été inspirée davantage par la doctrine française que par toute autre !
La coordination entre les différentes armes de mêlée, dans la stricte configuration qui a été employée le 11 avril dans le soutien aux forces de l'Onuci, est ainsi décrite dans le manuel : "Les unités d'infanterie sont engagées de préférence dans les secteurs d'habitat dense, le plus souvent constituées en sous-groupement renforcé de blindés et de génie. (...) Les unités blindées apportent un effet dissuasif par leur puissance de feux et offrent des capacités de détection (jour + nuit) et de protection grâce à leur blindage. Elles sont employées préférentiellement dans les zones dégagées, où elles tirent parti de leurs capacités d'observation, de tir et de mobilité. Les groupements et sous-groupements blindés sont renforcés par des unités d'infanterie et du génie pour préparer, accompagner et prolonger leurs actions. Le rôle du génie en appui au combat est déterminant tant en appui mobilité (déblaiement, déminage, mobilité à l'intérieur des immeubles et dans les réseaux sous-terrains) qu'en contre-mobilité (obstructions, destructions, minage) et en sauvegarde-protection."
Licorne a proposé la recette, mélangé les ingrédients et cuit le gâteau
Sur le "coup de poing" qui a conduit à l'arrestation de Gbagbo, pas de place au doute, non plus : "La force recherche une décision rapide et au moindre coût. Elle vise prioritairement les points décisifs et les points de cohérence de l'adversaire en vue d'atteindre ses centres de gravité. (...) La composante terrestre s'attache à mener des opérations sélectives, si possible rapides et parfaitement ciblées, afin d'éviter l'enlisement et l'usure." Une remarque explique aussi qu'une offensive n'ait pas été conduite plus tôt : "La destruction systématique des forces adverses déployées en agglomération ou/et la conquête totale de la ville ne sont pas recherchées."
Concernant le "siège" de l'objectif visé, il passe d'abord par son isolement, son confinement et le blocage de ses capacités d'action : "La création de zones d'exclusion autour des forces ennemies vise dans un deuxième temps à les isoler tout en leur interdisant tout renforcement ou possibilité de manoeuvre et de repli. Dès lors, il est possible de procéder à leur destruction par des forces spéciales ou des détachements interarmes (raids brutaux et fugaces)." Quant à la nécessité de ne pas laisser la situation pourrir et dégénérer, elle est expliquée ici : "Les engagements en zone urbaine peuvent très vite revêtir un caractère exceptionnel et irrationnel qui échappe aux forces en présence et les conduit à des surenchères initialement refusées. D'objectif tactique, la ville devient objectif opératif, voire stratégique. La force peut ainsi se voir progressivement contrainte à saisir ou à défendre des zones ou points à forte valeur symbolique dont le contrôle ou la destruction peut conférer un avantage psychologique majeur à l'une ou l'autre des parties."
Ceci dit, le Premier ministre François Fillon ne ment pas (pourquoi le ferait-il ?) quand il affirme, comme avant lui ses ministres Alain Juppé et Gérard Longuet : "Le comportement des forces françaises a été exemplaire. Le président de la République leur avait confié une mission difficile. Pas un seul soldat français n'a mis les pieds dans la résidence." En fait, tout le monde est d'accord. À supposer que l'opération ait été une pâtisserie, la force Licorne a proposé la recette, mélangé les ingrédients et cuit le gâteau. Mais ce sont les FRCI d'Alassane Ouattara qui, sur son sommet, ont placé la cerise.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/jean-guisnel/abidjan-une-operation-sortie-des-manuels-de-l-armee-francaise-12-04-2011-1318451_53.php
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