La grande crainte des pilotes est de tomber dans une zone sous contrôle ennemi
Elles ont été bombardées dès le premier jour. Mais il peut en rester encore. Soudain, l’opérateur de l’Awacs, l’avion PC bourré d’électronique, lui demande de se porter sur la piste militaire de Misrata. Un appareil de Kadhafi a été détecté en train de se diriger vers cette base, au mépris de la zone d’exclusion aérienne décrétée par l’Onu. Il s’agit d’un G-2E Galeb (« mouette », en français) fabriqué dans l’ex-Yougoslavie, qui permet des attaques au sol. Quand le Rafale du capitaine Renaud arrive en vue de la piste, le Galeb vient de s’immobiliser sur le parking. Le pilote entre les coordonnées dans sa bombe AASM, un long tube kaki de 250 kilos à guidage inertiel et GPS. Dans l’Awacs, un officier donne la « clearance », l’autorisation de tir validée à Paris, en un temps record, par l’état-major. Le capitaine tire sa bombe, qui ressemble à un missile. Sur son écran, il voit le Galeb libyen se désintégrer dans une gerbe jaune et noire. L’avertissement est clair. Aucun avion libyen ne doit décoller. La demi-douzaine d’autres Galeb alignés sur le parking sont laissés intacts ce jour-là.Mais Kadhafi ne tient pas compte de l’avertissement. Voyant que les frappes des avions alliés déciment peu à peu son armée, laissant le champ libre aux rebelles pour reprendre un à un les terminaux pétroliers qu’ils avaient perdus, le Guide lance ses derniers moyens aériens dans la bataille. Il n’a plus que deux Mirage F1 et quelques Sukhoi en état de voler. Encore faut-il trouver les pilotes « kamikazes » qui accepteraient de se frotter aux appareils alliés. Restent les Galeb. En cinq minutes, ils peuvent décoller et tirer sur les insurgés de Misrata avant de retourner se poser. Kadhafi estime qu’ils pourront passer entre les mailles du filet. Mal lui en prend. Le 26 mars, la foudre s’abat à nouveau sur l’aéroport militaire de la troisième ville du pays. Au moins cinq Galeb et deux hélicoptères de combat MI-35 sont détruits par des bombes françaises. Mais les menaces ne sont pas pour autant écartées. La grande crainte des pilotes est évidemment de tomber dans une zone sous contrôle des troupes de Kadhafi. « Même là, affirme le capitaine Renaud à ses hommes, les Libyens qui soutiennent Khadafi sont minoritaires. Je ne suis pas sûr que vous serez maltraité si votre parachute vous entraîne de ce côté-là. » « L’argent peut-il jouer un rôle auprès des mercenaires ? » me demande le pilote. « Oui. La plupart des Tchadiens ou des Nigériens se sont enrôlés pour quelques dizaines de dollars par jour. Si vous en donnez plus, ce n’est pas impossible qu’ils vous laissent partir. Mais 500 dollars [350 euros environ], c’est peu », ajouté-je. Dans sa combinaison, chaque pilote emporte une petite liasse de dollars. Cinq cents en tout. En Afghanistan, l’enveloppe est de 2 000… 13 h 45. Retour de la patrouille. Les deux Mirage apparaissent en premier au-dessus de la mer. Les deux Rafale suivent quelques minutes après. Alignés devant leurs chariots, les pistards regardent en silence les avions se poser un à un, soulagés qu’ils soient tous rentrés.
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