samedi 26 mars 2011

Feu sur la Libye de Kadhafi !


Deux reporters du Figaro Magazine étaient à bord du porte-avions «Charles-de-Gaulle» lorsqu'il a appareillé dimanche de Toulon en direction des côtes libyennes. Mardi, il a mené sa première mission. Le dernier «départ sur alerte» d'un groupe aéronaval français remontait à janvier 1999, pour le Kosovo .
Mardi 22 mars. Il est 5 heures du matin à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle qui croise au nord de la Sicile, en direction des côtes libyennes. A babord, près de l'endroit où sont stationnés les Rafale Marine 20 et 21, le pont d'envol s'ouvre comme un coffre. Arrivés depuis l'atelier d'armement, installés à un pont inférieur, deux containers gagnent la surface. Puis deux autres, contenant des missiles air-air Mica (missile d'interception et de combat aérien). Deux d'entre eux sont à détection infrarouge, les deux autres à détection électromagnétique. Habillés de rouge, les armuriers s'affairent sous l'œil de leur chef, une femme. Longues de plus de 2 mètres, les ogives sont tirées de leur caisson, disposées sur une rampe puis hissées sur un chariot. On les glisse dans des rails. L'une au bout de l'aile, l'autre au-dessous. L'opération est répétée de l'autre côté. Le jour s'est levé sur les préparatifs de la première mission aéronavale de l'opération «Harmattan», l'équivalent français de l'«Aube de l'odyssée». On arme le deuxième avion.
8 heures. Dans la salle d'alerte n° 3, vêtus de combinaisons kaki, les pilotes de la flottille 12F viennent de terminer leur briefing. La mission de ce matin vise à faire respecter la zone d'exclusion aérienne exigée par la résolution 1973 des Nations unies et à effectuer un vol de reconnaissance. Ceux qui partiront sont armés: la pochette qu'ils portent comme un holster contient un pistolet et des chargeurs, un GPS, une balise géolocalisable, une radio. Sous le siège de leur avion, il y a aussi une couverture de survie, de l'eau et des cartes de la Libye. Au cas où ils devraient s'éjecter.
Des mesures indispensables: cette nuit, un avion américain F15 s'est crashé. Les deux pilotes ont été récupérés sains et saufs. «La plupart des pilotes sont intervenus en Afghanistan, mais c'est leur premier contact sol-air (vol au-dessus d'un territoire ennemi disposant d'armes sol-air, ndlr), explique le capitaine de vaisseau * qui commande le groupe aérien embarqué. L'appréhension est forte sur ce type de terrain, ils devront mesurer leur stress.» Ces hommes sont hyperentraînés. Ils ont travaillé à la mécanisation des réflexes à avoir en cas de départ d'un missile, par exemple. Ils ont aussi enregistré les informations inhérentes à leur mission de ce matin: la configuration de leur avion, le briefing «renseignement», l'objectif, les risques, les moyens à disposition, le positionnement des avions de la coalition, les conditions météo, et des variantes: que faire si le radar ne fonctionne pas? S'ils perdent un équipier? Surtout, ils ont mémorisé les codes, mots et chiffres qui permettront de les identifier s'ils devaient s'éjecter, ou de savoir s'ils n'ont pas un pistolet braqué sur la tempe, s'ils n'ont pas été pris.

A 9h20, tous les avions sont prêts. La formation compte un Hawkeye, impressionnant engin à hélices portant sur son dos un radar susceptible de détecter toute intrusion aérienne dans un rayon de 500 kilomètres; les Rafale 20 et 21, armés et lestés d'une nacelle de reconnaissance photo accrochée sous leur ventre; un Super-Etendard modernisé et le Rafale 12. Ceux-là sont des «nounous», des ravitailleurs.
C'est le Hawkeye qui est catapulté en premier, propulsé grâce à un savant système de pistons - la particularité de l'aviation marine et de ses pilotes. Les deux pistes du Charles-de-Gaulle ne mesurent que 75 mètres, au bout desquels les avions auront atteint les 250 km/h nécessaires à leur décollage. Dans un bruit spectaculaire suivent les deux chasseurs armés. Puis on catapulte les «nounous».

Comme à chaque décollage, l'unité de recherche et sauvetage au combat (Resco) se tient prête à intervenir. Seule unité de l'armée de l'air présente à bord, elle est composée des hommes de l'escadron hélicoptère 1/67 «Pyrénées» et de commandos parachutistes de l'air issus du CPA 30. Formés au combat au sol, lourdement armés, ce sont eux qui récupéreraient les pilotes éjectés en zone hostile.

Malgré un délai de préparation de 72 heures seulement, le Charles-de-Gaulle fonctionne à pleine capacité. Mis en alerte vendredi dernier, il a quitté le port de Toulon dimanche à 13 heures. Le soir même, les 8 Rafale, 6 Super-Etendard modernisés, 2 Hawkeye et 5 hélicoptères composant le groupe aérien embarqué étaient à bord. «Le dernier départ sur alerte d'un groupe aéronaval a eu lieu en 1999 vers le Kosovo, se souvient le contre-amiral Philippe Coindreau. C'est une situation exceptionnelle.» Outre le Charles-de-Gaulle, le groupe aéronaval placé sous ses ordres compte un pétrolier ravitailleur et quatre frégates: le Forbin et le Jean Bart pour la défense aérienne, le Dupleix pour la défense sous-marine, la frégate furtive Aconit. Un sous-marin nucléaire d'attaque s'est, lui, positionné au large de la Libye. «Notre rôle est de faire respecter la zone d'exclusion aérienne et, dans un deuxième temps, l'embargo sur les armes, reprend le contre-amiral Coindreau. Il faudra être vigilants. Aujourd'hui, les forces libyennes sont partagées en deux. Il y a celles de Kadhafi et celles de l'opposition, et elles sont du même type. Il existe un risque de confusion pour nous. De plus, lors d'une opération comme celle-ci, où tout n'est pas parfaitement coordonné, il existe des risques de méprise. Et nous ne pouvons pas nous permettre de frapper un avion allié. Nous devrons être très exigeants en matière de renseignement.» Afin de satisfaire à cette exigence, ses interlocuteurs sont multiples : l'état-major français; les alliés, dont l'action est coordonnée par l'amiral américain Samuel Locklear; l'Otan, dont certains moyens sont déjà déployés sur zone.
Approchant les côtes libyennes, le Charles-de-Gaulle est désormais en position d'arrimage de combat : les vitres et miroirs ont été tapissés de Scotch afin d'éviter qu'ils n'explosent, les tableaux et éléments décoratifs susceptibles de se transformer en projectiles ont été rangés. Les exercices d'alerte se multiplient. «Un Sukhoï est en approche», entend-on dans les haut-parleurs. Les Sukhoï, chasseurs de l'armée libyenne. Quelques minutes plus tard, le bruit d'un impact de missile retentit dans les haut-parleurs, suivi de cris. Depuis le début de l'alerte, les 1950 personnes naviguant à bord se sont équipées de cagoules, de masques, de gants ignifugés. Les lourdes portes d'acier sont fermées, on a compartimenté le bâtiment afin de circonscrire un éventuel incendie.

Qu'en est-il du risque réel? «Notre première préoccupation est le sort de nos pilotes lorsqu'ils survolent la Libye, explique le capitaine de vaisseau, commandant du Charles-de-Gaulle. D'empêcher aussi que le porte-avions ne soit touché. L'occurrence est faible, eu égard à la supériorité des moyens navals de la coalition, mais Kadhafi possède des frégates portant des missiles et des batteries côtières anti- navires positionnées sur des camions.»

A bord, le principal instrument de prévention du risque est le Central Opérations: le cœur tactique du bateau. On y centralise toutes les informations relatives à l'environnement de surface, aérien et sous-marin.

Passé la porte, on est plongé dans l'obscurité, trouée seulement par la lumière des radars sur lesquels sont positionnés tous les appareils croisant ou volant dans un rayon pouvant atteindre 700 kilomètres et une altitude de 180 kilomètres. Une quinzaine de personnes travaillent ici 24 heures sur 24 afin d'établir la situation tactique autour de la force. Les données fournies par les Hawkeye, les Rafale et les Super-Etendard de la Marine, celles fournies par l'armée de l'air et les alliés également, sont confrontées. Les points bleus sont «amis», ce sont des bâtiments de la coalition. Les points verts sont «neutres», majoritairement civils. Tous sont «renseignés», leurs nom, tonnage, nationalité sont enregistrés. Les points rouges sont «suspects» ou «hostiles».
L'un d'eux vient d'apparaître sur l'écran. Un bateau inconnu. Selon les hommes du « module de commandement », il se trouve à proximité des frégates françaises déjà positionnées près de la Libye. Faut-il envoyer l'une d'elles pour contrôler? Un simple bateau de pêche peut contenir des armes. Ou renseigner le colonel Kadhafi sur les positionnements alliés. On ne nous fournit pas le détail de l'identification, mais quelques minutes plus tard, le point rouge devient vert. Tout s'est passé dans le calme. Sans agitation. A quelques pas, le personnel du module «guerre électronique» ne s'est aperçu de rien. Doté de deux postes, il peut intercepter et brouiller une radio ou un radar. Celui d'un missile par exemple, juste le temps de mettre des leurres en place. Retrouvant la vue, le missile ennemi frapperait alors le leurre. Cela s'appelle le soft kill. Le hard kill, lui, consiste à détruire l'arme. Des décisions prises par le commandant du bateau, qui décide aussi de l'utilisation du module « armes », pilotant les systèmes d'autodéfense du porte-avions. Des systèmes conçus pour gérer dix menaces simultanées provenant de dix lieux différents et armés de missiles de tout type. Impressionnante concentration de technologies que ce porte-avions : ville flottante de près de 2000 habitants, aérodrome ambulant de 40.000 tonnes, le tout propulsé par deux chaufferies nucléaires.

Sur les nombreux postes de télévision présents à bord, cependant, on regarde ceux qui critiquent les frappes alliées sur la Libye. Dans la salle de repos des officiers subalternes, un groupe suit les informations. Après s'être indignés du manque de réactivité des alliés, de leurs tergiversations onusiennes, les insurgés de Benghazi craignent désormais d'être dépossédés de leur révolution. La Ligue arabe, la Chine, la Russie émettent des réserves. «La coalition se fissure», titre-t-on dans les journaux. Aucun commentaire. Les gars de la Grande Muette se taisent. «Que pensez-vous des critiques formulées contre les opérations menées en Libye?» demandons-nous au contre-amiral Coindreau. «Je ne peux vous répondre à mon niveau. C'est essentiellement le fait politique qui est critiqué. Pas le fait militaire.» Quelques secondes de silence, puis: «Notre objectif est d'être non critiquables dans l'exécution de notre mission militaire.»

* Afin de préserver la sécurité de leurs familles, les noms des personnels embarqués du groupe aéronaval ne seront pas cités.
http://www.lefigaro.fr/international/2011/03/26/01003-20110326ARTFIG00007-feu-sur-la-libye-de-kadhafi.php

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