dimanche 27 mars 2011

Amiral Jacques Lanxade : «L’objectif, c’est le départ de Kadhafi »

Chef d’état-major des armées de 1991 à 1995, notamment lors de la première guerre du Golfe à laquelle participa la France, l’amiral Jacques Lanxade a également été ambassadeur en Tunisie de 1995 à 1999.
Peut-on faire un premier bilan d’une semaine d’opérations militaires en Libye?
Amiral Jacques Lanxade . L’aviation libyenne a été détruite ou clouée au sol.

Sa capacité d’action a été annihilée. La zone d’exclusion aérienne est en place et demeurera tant que ce sera nécessaire. Ce qui suppose des patrouilles en permanence au-dessus de la Libye : des Awacs et des avions intercepteurs 24 heures sur 24. L’autre mission d’arrêter les forces libyennes qui menaçaient Benghazi est en revanche loin d’être achevée, car on voit que les forces libyennes se terrent dans les villes et continuent de menacer sérieusement les populations prises parfois comme « boucliers humains ». C’est donc une situation très difficile à gérer par la coalition.

Quel est le véritable but de cette guerre ?
Dans la résolution 1973 des Nations unies, le but clairement affiché — et conforme au droit international — est de protéger les populations. Mais on souhaite que les Libyens puissent choisir eux-mêmes leur régime, ce qui suppose que les opérations de l’armée libyenne contre les populations s’arrêtent et que des pourparlers s’engagent entre les deux camps. Mais l’objectif, c’est le départ de Kadhafi.
l’a clairement dit : « Il faut que Kadhafi s’en aille! » Il ne faut pas se voiler la face. On ne mène pas d’opérations spécifiques pour l’éliminer, mais il n’y aura pas de solution politique avec lui présent.

Peut-on gagner une guerre uniquement par des frappes aériennes ?
On peut gagner une guerre en utilisant les moyens aériens, mais cela suppose que les frappes soient suffisamment puissantes et fortes pour que le régime cède et demande l’arrêt des combats. C’est ce qui s’est passé en 1995 avec la Serbie. Si l’on ne va pas jusque-là, il faut envoyer des troupes à terre. En Afghanistan, en 2001, au début de l’opération Enduring Freedom, on avait au sol les troupes du commandant Massoud coordonnées avec l’aviation américaine. En Libye, on a espéré que les opposants du Conseil national de transition joueraient ce rôle, mais ils se révèlent pas ou peu armés, très désorganisés et ils n’ont aucune expérience militaire.

La coalition ne sera-t-elle pas obligée d’envoyer des troupes au sol avec un risque d’enlisement ?
Il me paraît exclu que des troupes occidentales aillent en Libye. On ne peut en revanche pas totalement exclure — même si c’est peu probable — qu’il y ait des unités arabes, égyptiennes ou émiriennes. Ceux qui entourent Kadhafi voient bien qu’à un moment donné il leur faudra négocier et chercher une porte de sortie. Selon
, la négociation a déjà commencé. Mais pour que Kadhafi s’en aille, ce n’est pas si simple, car quelle porte de sortie lui offrir? On le menace de la Cour pénale internationale et il ne peut plus partir du pays sans qu’il y ait un accord, sauf bien sûr à prendre un 4 x 4 et à filer dans le désert pour se retrouver chez un de ses alliés africains. Mis à part au Venezuela, je ne vois personne prendre le risque de l’accueillir chez lui.

N’y a-t-il pas aussi un risque de partition du pays ?
Aujourd’hui, il y a une partition de fait entre la Cyrénaïque contrôlée depuis Benghazi par l’opposition et la Tripolitaine qui demeure encore largement sous l’autorité de Kadhafi. Cette situation perdurera tant qu’un accord politique n’aura pas été trouvé. Kadhafi peut s’enfermer dans une position de résistance à outrance… Personnellement, je n’y crois pas, car on dit beaucoup que Kadhafi n’est pas courageux, mais il est entêté : tant qu’on ne viendra pas le chercher dans son bunker, il peut être tenté de résister. Mais cette situation peut durer assez longtemps et amorcer une réelle partition. La Tripolitaine et la Cyrénaïque étaient deux entités que l’on a mises un peu artificiellement ensemble pour faire un seul pays.

Où en est la situation en Tunisie, d’où ce vent de révolte arabe est parti ?
La Tunisie pourrait être un modèle de transition démocratique. Cette révolution a été faite essentiellement par la jeunesse et les classes moyennes de ce pays qui se sont rassemblées par Facebook et Twitter. Le rôle de l’armée a été fondamental car elle a arrêté la répression de la police et du régime. L’armée a empêché et mis fin à leurs exactions, et, en même temps, elle n’a pas pris le pouvoir, elle est rentrée dans ses casernes. C’est assez exceptionnel. On est maintenant engagé dans un processus qui va aboutir à l’élection d’une Constituante le 24 juillet. Seule inquiétude, l’économie, car le tourisme reprend trop lentement et le pays reste confronté à un sérieux chômage.

Voyez-vous en Egypte un danger islamiste ?
En Egypte, c’est parti comme en Tunisie avec l’irrésistible besoin de liberté, mais l’armée — qui en réalité avait le pouvoir — s’est rendu compte que, si elle voulait préserver sa position, il fallait qu’elle fasse partir Moubarak. Elle a donc accompagné un processus révolutionnaire. Comme en Turquie depuis Atatürk, l’armée contrôle le processus de transition et va se présenter comme la garante pour empêcher la prise du pouvoir par les islamistes. Le risque islamiste y est en effet relativement sérieux avec les Frères musulmans, qui constituent une force politique organisée, représentant 30% de la population.

Après Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte, quel sera le prochain dictateur à tomber ?
Je pense que ce sera Ali Saleh au Yémen dans quelques jours car les choses se précipitent. Une partie de l’armée a commencé à le lâcher. Puis ce sera peut-être le tour de Bachar al-Assad en Syrie. En Algérie, ce n’est qu’au départ de Bouteflika que les choses bougeront réellement, mais il peut encore tenir avec son clan et l’armée. Le dernier bastion à tomber sera l’Arabie saoudite.

En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo refuse toujours de céder le pouvoir au président Alassane Ouattara élu il y a quatre mois…
Ce que l’on fait en Libye, pourquoi ne le fait-on pas en Côte d’Ivoire ? C’est un véritable problème qui, politiquement, gêne la France comme l’ensemble de la communauté internationale. On avait espéré que les forces de l’Union africaine viennent et fassent partir Gbagbo par la force, mais elles ne sont pas là. La France ne veut pas apparaître comme reprenant sa posture de puissance coloniale en intervenant en Afrique. Mais je ne vois pas comment on pourra assister — avec des troupes françaises sur place — à un massacre généralisé au risque d’un second Rwanda.

http://www.leparisien.fr/intervention-libye/amiral-jacques-lanxade-l-objectif-c-est-le-depart-de-kadhafi-27-03-2011-1379312.php
hebergeur image

Aucun commentaire: