mardi 14 septembre 2010

Mort d'un "soldat inconnu"

Elle s'appelait Hélène Nearne. Elle avait 89 ans. Elle est morte seule, dans un minuscule appartement de Torquay, une petite station balnéaire du sud de l'Angleterre. Elle n'avait aucun parent, aucun ami, et même ses voisins ne la connaissaient pas vraiment et n'avaient évidemment aucune idée de sa vie, de son passé, de son histoire. Elle allait être enterrée dans le carré des indigents du cimetière de Torquay, sans fleur ni couronne, ni même personne pour se recueillir sur sa tombe.

Et puis un employé municipal, venu inventorier les quelques objets que possédait la vieille dame, est tombé sur un tiroir renfermant des documents jaunis et deux ou trois médailles, qui se sont révélées être des décorations datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que quelques billets de banque en usage dans la France occupée.


On s'est alors aperçu que celle qui était morte dans un quasi-dénuement et l'anonymat le plus complet était une héroïne de la guerre secrète 1939-1945 contre l'occupant allemand. Sous le nom de code de "Rose", elle était un des rares agents du SOE, le Special Operation Executive, branche des services secrets britanniques, qui ait survécu aux missions menées aux côtés de la résistance française. Ayant habité, avec ses parents, avant la guerre, pendant quinze ans en France, elle avait été repérée dans les rangs des auxiliaires de l'armée de l'air, pour laquelle elle s'était portée volontaire, parce qu'elle parlait le français sans aucun accent.

Mademoiselle du Tort


Versée dans le SOE, elle était devenue opératrice radio et, à ce titre, avait été parachutée plusieurs fois en France occupée, où elle s'était fondue dans la population sous le nom d'emprunt de mademoiselle du Tort. Arrêtée une première fois par la Gestapo, près de Lagny, elle réussit à convaincre ceux qui l'interrogeaient qu'elle était une innocente Française, sans aucune activité clandestine. Miraculeusement libérée, elle reprend sa mission, mais, quatre mois plus tard, se fait prendre dans une rafle. Cette fois, elle est torturée et on l'envoie au camp de Ravensbrück, puis, en raison de l'avance alliée, on la transfère dans un camp de Silésie, dont elle réussit à s'échapper avec deux compagnes françaises. Reprises par des SS, les trois femmes leur faussent compagnie et se réfugient chez un prêtre de Leipzig qui les cachera jusqu'à l'arrivée des troupes américaines.


Hélène Nearne, décorée de la MBE, l'ordre de l'Empire britannique (mais malheureusement pas de la croix de guerre française), ne sortira qu'une seule fois de l'anonymat dans lequel elle s'était volontairement cantonnée pour retourner à Ravensbrück, lors de l'inauguration d'un monument à la mémoire des victimes du camp. À Torquay, le 21 septembre, on va, cette fois, lui faire des obsèques officielles. Le représentant du MI5, services secrets britanniques, s'il prend la parole à l'occasion, pourrait citer cette phrase de Churchill sur les agents du SOE : "On leur avait demandé de mettre le feu à l'Europe. Ils ont suivi nos ordres. Mais seules les méthodes de ces héros et de ces héroïnes n'étaient pas celles de gentlemen."

http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/michel-colomes/mort-d-un-soldat-inconnu-14-09-2010-1236276_55.php

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