mercredi 30 mars 2011

Libye: avec les pilotes français de Solenzara

Depuis 3 heures du matin, les briefings se succèdent dans la salle des opérations de la base aérienne 126 de Solenzara. Un seul étranger participe à ces réunions secret défense : le « flight lieutenant » Ian Abson. Dans la Royal Air Force, le capitaine « Abbo » est navigateur sur Tornado au sein du 15e Squadron. Détaché dans la chasse française, il vole sur Mirage 2000 D avec le capitaine Laurent, un gars souriant de Saint-Denis de La Réunion qui affiche 2 200 heures de vol après trois missions en Afghanistan. 6 h 45. L’heure de l’habillage pour un décollage à 8 heures. La pression commence à monter. Les visages sont fermés. Tous sont concentrés comme des toreros avant d’entrer dans l’arène. En guise d’habit de lumière, c’est la « glouglou » qu’ils enfilent par-dessus leur combinaison de vol à longue fermeture Eclair. Une tenue étanche, vert bouteille, qui se gonfle au contact de l’eau en cas de crash. Ensuite vient le tour du gilet de sauvetage. Dans les poches, un miroir, un téléphone satellitaire, de la poudre antirequins, une balise qui permet d’être repéré même inanimé, des cartes, un pistolet automatique avec plusieurs chargeurs. Chacun garde son bric-à-brac dans une boîte en carton. Pour se désaltérer, une bouteille d’eau de 33 centilitres et, suivant les goûts, un petit sandwich au fromage et/ou des barres protéinées. « Avant de décoller, j’ai toujours une petite boule à l’estomac. Mais quand c’est parti, elle disparaît. C’est la mission qui prime », explique le capitaine Laurent. 7 heures. Départ vers le tarmac. Mirage 2000 D et Rafale sont alignés devant les hangars. Autour s’affairent les pistards en gilet jaune et les spécialistes armement en tenue orange. La tradition est respectée, des inscriptions à la craie fleurissent sur les bombes : « Pour m’avoir gâché mon week-end ! », « Kadhafi, dans ton froc ! » Chaque pilote effectue sa check-list en faisant le tour de l’avion avec son mécano. Ce matin, le capitaine Renaud, lui, est « spare » : il se prépare au cas où un appareil chargé de la mission ne pourrait pas décoller. Comme les autres pilotes, il effectue une mission toutes les quarante-huit heures. Son dernier vol a été mouvementé. Ce jour-là, il vole vers Misrata, la ville martyre bombardée par les chars de Kadhafi. Sous les ailes de son Rafale, deux bombes de 250 kilos et deux missiles Mica antiaériens. Grâce aux caméras du pod d’observation, le capitaine et son coéquipier scrutent les mouvements militaires autour de la ville. Sur l’écran vidéo, ils voient défiler le champ de bataille à 10 kilomètres d’altitude. Descendre plus bas, c’est prendre un risque, car Kadhafi possède une panoplie de Sam, les fusées antiaériennes de l’ex-Union soviétique.

La grande crainte des pilotes est de tomber dans une zone sous contrôle ennemi

Elles ont été bombardées dès le premier jour. Mais il peut en rester encore. Soudain, l’opérateur de l’Awacs, l’avion PC bourré d’électronique, lui demande de se porter sur la piste militaire de Misrata. Un appareil de ­Kadhafi a été détecté en train de se diriger vers cette base, au mépris de la zone d’exclusion aérienne décrétée par l’Onu. Il s’agit d’un G-2E Galeb (« mouette », en français) fabriqué dans l’ex-Yougoslavie, qui permet des attaques au sol. Quand le Rafale du capitaine Renaud arrive en vue de la piste, le Galeb vient de s’immobiliser sur le parking. Le pilote entre les coordonnées dans sa bombe AASM, un long tube kaki de 250 kilos à guidage inertiel et GPS. Dans l’Awacs, un officier donne la « clearance », l’autorisation de tir validée à Paris, en un temps record, par l’état-major. Le capitaine tire sa bombe, qui ressemble à un missile. Sur son écran, il voit le Galeb libyen se désintégrer dans une gerbe jaune et noire. L’avertissement est clair. Aucun avion libyen ne doit décoller. La demi-douzaine d’autres Galeb alignés sur le parking sont laissés intacts ce jour-là.
Mais Kadhafi ne tient pas compte de l’avertissement. Voyant que les frappes des avions alliés déciment peu à peu son armée, laissant le champ libre aux rebelles pour reprendre un à un les terminaux pétroliers qu’ils avaient perdus, le Guide lance ses derniers moyens aériens dans la bataille. Il n’a plus que deux Mirage F1 et quelques Sukhoi en état de voler. Encore faut-il trouver les pilotes « kamikazes » qui accepteraient de se frotter aux appareils alliés. Restent les Galeb. En cinq minutes, ils peuvent décoller et tirer sur les insurgés de Misrata avant de retourner se poser. Kadhafi estime qu’ils pourront passer entre les mailles du filet. Mal lui en prend. Le 26 mars, la foudre s’abat à nouveau sur l’aéroport militaire de la troisième ville du pays. Au moins cinq Galeb et deux hélicoptères de combat MI-35 sont détruits par des bombes françaises. Mais les menaces ne sont pas pour autant écartées. La grande crainte des pilotes est évidemment de tomber dans une zone sous contrôle des troupes de Kadhafi. « Même là, affirme le capitaine Renaud à ses hommes, les Libyens qui soutiennent Khadafi sont minoritaires. Je ne suis pas sûr que vous serez maltraité si votre parachute vous entraîne de ce côté-là. » « L’argent peut-il jouer un rôle auprès des mercenaires ? » me demande le pilote. « Oui. La plupart des Tchadiens ou des Nigériens se sont enrôlés pour quelques dizaines de dollars par jour. Si vous en donnez plus, ce n’est pas impossible qu’ils vous laissent partir. Mais 500 dollars [350 euros environ], c’est peu », ajouté-je. Dans sa combinaison, chaque pilote emporte une petite liasse de dollars. Cinq cents en tout. En Afghanistan, l’enveloppe est de 2 000… 13 h 45. Retour de la patrouille. Les deux Mirage apparaissent en premier au-dessus de la mer. Les deux Rafale suivent quelques minutes après. Alignés devant leurs chariots, les pistards regardent en silence les avions se poser un à un, soulagés qu’ils soient tous rentrés. Point final
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