jeudi 18 novembre 2010

"L'enthousiaste morosité" de l'armée de terre

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C'est un très long discours que le chef d'état-major de l'armée de terre (Cemat), le général Elrick Irastorza, avait préparé à destination des "présidents des officiers", les représentants désignés de chaque unité de cette armée, réunis à Coëtquidan (Morbihan) le 22 octobre dernier. Nous n'avons pas eu connaissance du discours prononcé qui, seul, "fait foi", selon la formule consacrée, mais le texte qui lui a servi de trame - qui n'est pas classifié - est instructif à bien des égards, notamment s'agissant des problèmes perçus par les personnels de l'armée de terre et des réponses apportées par la hiérarchie. Pour le général Irastorza, l'année 2011 sera "particulièrement compliquée" et la réforme en cours (installation des bases de défense sur fond de réduction d'effectifs) sera "particulièrement anxiogène" alors que les opérations extérieures ne se réduisent pas. Dans une formule imagée, le général assure que "pendant les travaux, la vente doit continuer". Il écrit également que son armée vit en ce moment une "enthousiaste morosité".


De manière significative, le premier point de son discours aborde la "primauté du politique sur le militaire". Claire allusion à des affaires récentes, qu'il s'agisse de ce texte de réservistes médiatiques et de militaires cosigné sous le pseudonyme de Surcouf, ou d'une interview du général Vincent Desportes. Les mots-clés liés à l'expression des militaires sont "réserve", "discernement", "pertinence", "prise de responsabilité", "obligation morale de solidarité". Rien que du classique... Mais le général ajoute : "Les temps sont durs et ce n'est pas terminé. Les missions sont remplies, mais au prix d'efforts et de sacrifices considérables. Il faut le dire. Dire, ce n'est pas se plaindre, mais témoigner de la réalité de notre métier."


Judiciarisation de la société




Sur les effectifs, le Cemat ne se lamente pas. Mais ses chiffres et ses références sont saisissants : l'armée de terre disposait de "93 divisions en ligne en 1940. Il nous restera 81 régiments. 2.000 bataillons d'infanterie en 1914 auraient permis de placer "un fantassin tous les 50 centimètres entre Nice et Dunkerque. Aujourd'hui, avec nos 20 bataillons, nous avons de quoi en faire autant entre la porte Maillot et celle de la Villette. 1.724 canons français s'opposaient à Verdun à 2.200 canons allemands. Il nous en reste 128. Réduction acceptée, je le rappelle, parce qu'elle devait être compensée par la mise en service du [lance-roquettes unitaire] dès 2012". Sauf que ce LRU ne sera opérationnel, au mieux, qu'en 2014, et qu'il fait même partie des armes qui se trouvent actuellement sur la sellette si de nouvelles coupes devaient intervenir !


On retiendra enfin les avertissements que le Cemat lance sur la "judiciarisation" de la société , et la "confusion qu'elle introduit dans les esprits". Il estime que "la pression médiatique est chaque jour plus pesante" et que "la relation en temps réel de nos opérations est devenue la règle. Il s'ensuit (y compris dans nos rangs) - le plus souvent à l'occasion de nos pertes au combat ou par accident ou malheureusement de dégâts collatéraux - des jugements de valeur à l'emporte-pièce sur la conduite des opérations, aux effets parfois dévastateurs". Et d'exiger qu'à tous les échelons, les officiers rendent "systématiquement des comptes sur tout, car petit à petit s'est créé un enchaînement logique entre armée de métier et métier, métier et travail, travail et accident du travail, accident du travail et la faute à qui, la faute à qui et plainte au pénal". Et de souligner qu'il existe un risque de "paralysie collective par somme des inhibitions individuelles, mais aussi un risque de confusion dans les esprits entre affaires différentes (Mahé/Uzbeen par exemple) conduisant à des amalgames dangereux". La conclusion est forte : "Personne ne peut ni ne doit commettre l'indéfendable, personne ne peut ni ne doit défendre l'indéfendable, car le jour où nous aurons besoin de défendre le défendable, nous aurons perdu notre âme et ne serons plus crédibles."
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/jean-guisnel/l-enthousiaste-morosite-de-l-armee-de-terre-17-11-2010-1263546_53.php

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