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lundi 27 septembre 2010
La dynamique de la guerre est «repassée du côté de l'Otan»
INTERVIEW EXCLUSIVE - Selon David Petraeus, le stratège en chef des forces internationales en Afghanistan, le nombre des opérations de commando s'est accru de manière spectaculaire.
Le général américain qui dirige les troupes de l'Otan en Afghanistan a accordé un entretien exclusif au Figaro.
LE FIGARO. - Mon général, sommes-nous en train de perdre la guerre en Afghanistan ?
David PETRAEUS. - Non.
Mais l'insurrection ne cesse de s'étendre ! Il y a cinq ans, elle se limitait au Sud. Aujourd'hui, elle est partout, au Nord, au Sud, à l'Ouest, à l'Est. Si vous prenez la route du Logar, les talibans sont à trente minutes de Kaboul…
Il est indéniable que l'insurrection s'est beaucoup étendue. Mais je vous dirai aussi que l'ISAF (force internationale d'assistance et de sécurité) et l'armée nationale afghane (ANA) ont commencé le processus de reconquête du terrain perdu. Parlons du Nord. Certes les talibans se sont infiltrés en force dans la province de Baghlan. Mais l'ISAF et l'ANA s'y déploient en ce moment, afin de les contrer. Dans la province de Kunduz, les talibans ont incontestablement accru leurs actions depuis un an. Mais nous nous attaquons actuellement très sérieusement à ce problème, en combinant quatre types d'actions : les opérations des forces spéciales visant à tuer ou capturer les commandants locaux des talibans ; les ratissages menés par les forces conventionnelles de l'Otan et l'ANA ; la mise en place de milices villageoises sous le contrôle de la police afghane ; le processus de réconciliation permettant à des tribus hostiles de rejoindre le giron du gouvernement afghan. À l'Ouest, dans la province de Baghdis, frontalière du Turkménistan, on pouvait dire, il y a quatre mois, que les talibans ne cessaient de gagner du terrain. Aujourd'hui, après une offensive combinant les quatre mêmes éléments, nous avons éjecté les talibans d'une vallée de 100 km de long ; et nous pensons que, dans cette province, nous avons repris la main sur l'ennemi. À Kaboul, où se concentre le sixième de la population afghane, la sécurité s'est nettement améliorée par rapport à l'année dernière, grâce au travail efficace de l'ANA, de la police afghane, du NDS (services secrets afghans), du commandement régional turc, tout cela, bien sûr, avec l'appui de nos forces spéciales.
Vous êtes donc en train de gagner la guerre ?
Quand on mène une guerre contre-insurrectionnelle, les notions de victoire ou de défaite sont très difficiles à appréhender. Dans ce type de conflit, gagner, c'est faire des progrès. Bien sûr que nous préférerions avoir pour mission de conquérir tel territoire, d'y planter notre drapeau au sommet de la plus haute montagne, et de revenir ensuite chez nous pour un défilé de la victoire. Mais, dans les conflits contemporains - qui sont asymétriques -, cela n'existe plus. Je pourrais passer des heures avec vous sur la carte pour vous prouver que la dynamique de la guerre est en train de repasser des mains des talibans et du réseau Haqqani (chef d'un mouvement pachtoun islamiste agissant contre l'Otan à partir de son sanctuaire de la zone tribale pakistanaise du Nord-Waziristan, NDLR) aux mains de l'Otan. Nous venons de recevoir le renfort de 30 000 hommes que le président Obama avait annoncé lors de son discours de West Point (décembre 2009, ndlr). Pour la première fois en Afghanistan, l'Otan dispose des moyens civils et militaires nécessaires pour conduire une campagne efficace de contre-insurrection.
Pour atteindre quel objectif ?
Nous sommes des réalistes. Nous ne rêvons pas de faire de l'Afghanistan une Suisse. Notre objectif est simple : parvenir à ce que le gouvernement afghan soit capable d'assurer lui-même sa sécurité, d'imposer par lui-même son autorité sur son territoire, afin que l'Afghanistan ne redevienne pas un sanctuaire pour al-Qaida et autres groupes terroristes islamistes transnationaux, comme il l'était avant les attentats du 11 septembre 2001. Nous ne sommes pas en Afghanistan pour y implanter notre modèle de société ou de développement. Les Afghans sont souverains chez eux : c'est à eux et pas à nous de décider comment ils veulent vivre dans le futur.
N'y a-t-il pas eu, au cours des derniers mois, un accroissement significatif des opérations menées par les forces spéciales ?
Vous avez raison. Le nombre de nos opérations de commando visant à tuer ou capturer, les uns après les autres, les chefs des unités insurrectionnelles, s'est accru de manière spectaculaire, à un point que je n'avais jamais vu dans toute ma carrière. Au cours des trois derniers mois, nous avons mené quelque 2.877 raids différents. Le bilan est le suivant : 269 commandants tués ou capturés ; 860 insurgés tués et 2.039 faits prisonniers. Lorsque le chef d'un groupe d'insurgés est tué et que, trois jours plus tard, nous parvenons à éliminer celui qui l'a remplacé - comme cela est déjà arrivé -, cela fait réfléchir les candidats potentiels à l'insurrection. Après un tel raid de commando, il nous faut intervenir immédiatement pour assurer que le territoire que contrôlait le groupe ennemi ne redevienne pas un sanctuaire pour l'insurrection. Nous y envoyons alors nos forces conventionnelles avec autant de partenaires afghans que possible. Le but est de réintégrer dans la société afghane les insurgés découragés. Dans les villages, après accord des chouras (assemblées traditionnelles où siègent les leaders tribaux et les barbes blanches afghanes, ndlr), nous installons des milices d'autoprotection contre les talibans, placées sous l'autorité du ministère de l'Intérieur afghan. Cette politique de réintégration des responsables locaux ne nous empêche pas de soutenir la politique de main tendue du gouvernement Karzaï à l'endroit des chefs talibans nationaux ayant renoncé à leurs liens avec le terrorisme international. Dernier élément de cette politique globale, nous avons conscience de l'importance du combat contre la corruption, afin d'accroître l'autorité morale du gouvernement afghan sur sa population.
Les forces spéciales françaises étaient très actives en Afghanistan en 2004 et 2005. Avez-vous l'intention de profiter du prochain sommet de l'Otan à Lisbonne pour demander à la France de les renvoyer sur le terrain ?
Non. J'outrepasserais mon rôle de soldat. Je n'ai pas à m'ingérer dans les décisions politiques des pays membres de l'Otan.
Pouvez-vous nous résumer votre stratégie militaire pour les mois à venir ?
C'est une stratégie de contre-insurrection, fondée sur la protection de la population afghane. Il s'agit de la séparer des insurgés irréductibles. Notre but est de détruire les sanctuaires dont les talibans se servent pour menacer la population. Il s'agit ensuite de permettre que se constitue une administration locale afghane efficace capable de gagner le cœur des habitants. À Marjah (province du Helmand), on ne vend plus de la drogue sur le marché, depuis notre opération de février dernier. La rentrée des classes s'est faite au lycée, pour la première fois en six ans. Trois autres écoles ont ouvert dans le district (l'équivalent d'une sous-préfecture française, ndlr), lequel est désormais administré par un homme compétent et intègre.
Le réseau Haqqani a mené plusieurs actions dans la province de Kaboul pour tenter d'y faire dérailler les législatives du 18 septembre. Or, comme le mollah Omar, le réseau Haqqani bénéficie de la protection de l'ISI, les services secrets pakistanais. Comment pouvez-vous envisager de gagner cette guerre, alors que vos ennemis bénéficient du sanctuaire que leur offre le Pakistan, lequel jouit par ailleurs d'une aide financière américaine considérable ?
Le président Karzaï s'est exprimé récemment très clairement sur ce problème. Moi-même, je l'ai dit au général Kayani (chef de l'armée pakistanaise, ndlr), que j'ai rencontré trois fois depuis ma prise de fonction en juillet. Heureusement, le leadership pakistanais est en train de prendre conscience de la menace que représente pour lui la zone tribale du Nord-Waziristan. Car, désormais, ne s'y concentrent pas seulement les talibans qui viennent se battre contre nous en Afghanistan. Les mouvements islamistes ayant commis des attentats au Pakistan, comme par exemple les talibans du Pendjab, s'y sont également réfugiés. Pour être honnête, il faut saluer les immenses efforts qu'a consentis l'armée pakistanaise au cours des deux dernières années, pour nettoyer les autres zones tribales. Le Nord-Waziristan constitue un terrain militaire très difficile. Mais, bien sûr, nous souhaitons que l'armée pakistanaise - légitimement occupée en août et septembre à secourir les victimes d'inondations gigantesques - s'attaque à ce sanctuaire le plus tôt possible.
http://www.lefigaro.fr/international/2010/09/26/01003-20100926ARTFIG00209-la-dynamique-de-la-guerre-est-repassee-du-cote-de-l-otan.php
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